DAUMIER HONORÉ (1808-1879)
Artiste populaire s'il en fut jamais, Honoré Daumier pâtit néanmoins d'une réputation sujette à controverses : celle d'un créateur dont on a trop longtemps mesuré le talent à l'aune de ses convictions révolutionnaires. Pour y voir plus clair, il faut peut-être, dans les idées qui circulent sur Daumier, faire la part de la réalité et du mythe. Certes, Daumier fut républicain et des plus fervents... à une époque, toutefois, où l'espoir et la générosité ne connaissaient d'autre alternative. Au reste, en allait-il différemment d'un Millet et d'un Courbet, ses contemporains, dont l'œuvre, cependant, n'a pas suscité de telles équivoques ? C'est que, pour satisfaire aux « nécessités de la marmite », comme l'écrit si justement son premier biographe Arsène Alexandre, Daumier fut avant tout un virulent caricaturiste politique et un implacable scrutateur des mœurs de son temps. On comprend mieux dès lors pourquoi, très tôt, et au mépris de l'évidence même imposée par une exposition rétrospective organisée à Paris en 1878, à la veille de sa mort, une certaine critique n'a voulu voir en Daumier que le talentueux humoriste – et un peintre manqué ! – tandis que ses laudateurs colportaient avec effusion l'image tout aussi réductrice d'un génie incompris et poursuivi par la misère. Or, comme on le verra, l'activité politique de l'artiste fut de courte durée, son engagement limité. Si, dans sa production lithographique, Daumier fut révolutionnaire, c'est moins à travers les thèmes que lui dictaient les circonstances que par les qualités expressives inhérentes à sa manière ; s'il le fut dans sa peinture qu'admirait Picasso, voire dans son œuvre sculpté dont Giacometti lui-même soulignait les mérites, c'est par des intuitions plastiques et un approfondissement humain qui ont fait de lui un visionnaire et l'un des fondateurs de l'« art moderne ».
Origines et formation
Honoré Daumier naquit à Marseille le 26 février 1808 et fut baptisé trois jours plus tard en l'église Saint-Martin, voisine du domicile familial. Son père, Jean-Baptiste, exerçait la profession, peu lucrative à l'époque, de « vitrier », c'est-à-dire d'encadreur et de peintre décorateur : ce point n'est pas sans importance au regard de l'idée, fort répandue au début du xxe siècle, d'un Daumier issu de rien, sorte de génie pur et sans racines. Que Daumier ait été le fils de simples artisans jette d'autre part quelque lumière sur sa relation personnelle, si humble et si grave, au métier d'artiste.
Jean-Baptiste Daumier, qui se croyait poète, ambitionnait une carrière littéraire ; en 1814, renonçant à son gagne-pain, il vint à Paris pour y tenter sa chance. En vain car ses médiocres recueils de vers et sa tragédie, Philippe II, représentée à ses frais en 1819 dans le petit théâtre de la rue Chantereine, ne lui valurent qu'un piètre succès d'estime. La famille Daumier semble avoir connu à Paris de réelles difficultés financières. Aussi, en dépit de son attirance précoce pour le dessin, Honoré dut-il bientôt contribuer à la subsistance des siens. En 1820 – il a à peine douze ans –, on le trouve employé comme saute-ruisseau chez un huissier, puis, l'année suivante, comme commis chez Delaunay, libraire et éditeur au Palais-Royal. Attentif au monde par instinct, avant de l'être par profession, il découvre alors le microcosme parisien : le monde de la justice, tout d'abord, dont plus tard il ne devait cesser de fustiger l'hypocrisie ; puis, sous les galeries du Palais-Royal, la foule pittoresque et interlope décrite par Louis Léopold Boilly (1761-1845) dans de minutieux tableaux ; au hasard de ses courses, enfin, le petit peuple des rues, des quais et des boutiques. L'univers[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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