DAUMIER HONORÉ (1808-1879)
La scène politique
La réputation de Daumier va se jouer entre les deux mouvements populaires de 1830 et de 1848. Stimulé, en effet, par le choc des Trois Glorieuses, auxquelles l'artiste participe aux côtés de ses bouillants amis, et par l'effervescence politique et sociale qui caractérise ensuite le règne du « roi bourgeois », le prodigieux talent de Daumier pour la satire et la caricature éclate alors au grand jour. À l'origine de cet essor fulgurant, un homme paraît avoir exercé un rôle capital : Charles Philipon, directeur du plus célèbre journal de satire politique de l'époque, La Caricature, fondé le 4 novembre 1830, l'« enragé Philipon », auquel nous sommes redevables de la fameuse représentation de Louis-Philippe en poire. Daumier, rappelons-le, compte parmi les tout premiers collaborateurs de La Caricature : d'emblée, ses lithographies y connaissent le succès, mais cette tendance se confirme autour de 1831-1834, lorsque, à la demande de Philipon, il réalise, pour la vitrine du journal, une série de bustes charges en terre crue colorée représentant quelques-uns des membres les plus en vue de la droite politique : ministres et députés conservateurs, journalistes gouvernementaux et familiers du monarque, tous violemment hostiles à la presse républicaine, voire au mouvement romantique, aux tendances les plus avancées de l'art et de la littérature. Exécutés de mémoire, en atelier, et non point sur le motif, ni même, vraisemblablement, d'après des dessins, ces petits bustes, qui servirent d'abord à Daumier de modèles pour ses portraits lithographiés, sont pleinement révélateurs de l'esprit qui anime, à cette époque, le style de l'artiste. En accusant les particularités physionomiques de ses personnages, Daumier, certes, les ridiculise, mais, au-delà, il révèle leur personnalité profonde, dénonçant du même coup la corruption du système qu'ils incarnent. Le « réalisme » de Daumier est ici tout entier en germe : réalisme tiré tantôt dans le sens de la satire, tantôt dans celui de la méditation poétique et grave, mais qui toujours force les apparences pour rendre tangible l'essence de la condition humaine, constamment ballottée entre le drame héroïque et douloureux, et la farce grotesque. À ce stade, la dérision pouvait saper les bases mêmes du régime et tournait en quelque sorte au crime : de fait, la publication, en décembre 1831 et août 1832, de deux superbes lithographies stigmatisant les vices de la monarchie louis-philipparde, Gargantua et La Cour du roi Pétaud, valut à l'artiste de comparaître devant la cour d'assises et d'être incarcéré six mois à la prison Sainte-Pélagie, puis à la maison d'aliénés du Dr Pinel.
Cette expérience marque un tournant dans la vie de Daumier. Les affres du procès et de la détention, sans entamer vraiment sa verve humoristique, semblent, en effet, avoir réveillé en lui un fond de pessimisme qui ne fait qu'attiser sa hargne. En témoigne l'inspiration passablement farouche et sombre des cinq grandes planches – sommets de sa production lithographique – qu'il publie en 1834 dans L'Association mensuelle, magazine fondé par Philipon : notamment Le Ventre législatif et surtout Rue Transnonain, une composition dont Baudelaire devait dire vingt ans plus tard : « Ce n'est pas précisément de la caricature, c'est de l'histoire, de la triviale et terrible réalité » (« Quelques Caricaturistes français », 1857). Si l'on excepte l'admirable statuette de Ratapoil, modelée vers 1851-1852 à l'image des suppôts d'un régime plus honni encore par l'artiste que ne l'avait été la monarchie de Juillet, et quelques lithographies tardives illustrant les ravages de la guerre de 1870 et la chute du second Empire, l'œuvre politique de Daumier[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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