Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DAUMIER HONORÉ (1808-1879)

Daumier peintre

La révolution de 1848 et la IIIe République, qui instaurent un nouvel ordre et voient l'arrivée de ses amis au pouvoir (Jeanron, entre autres, est nommé directeur des musées), vont permettre à Daumier de donner libre cours à sa passion pour la peinture. Outre qu'il participe au concours institué le 18 mars 1848 pour commémorer, par une figure peinte de la République, la victoire de la révolution et la chute de Louis-Philippe (son esquisse, conservée aujourd'hui au Louvre, est sélectionnée parmi les vingt meilleures), l'artiste bénéficie, en effet, en 1848 et 1849, de deux commandes de l'État pour des tableaux religieux : une Madeleine et un Saint Sébastien ; mais, malgré les substantiels acomptes qui lui sont versés, il ne mènera à bien que le second. Preuve éminente de sa notoriété, ce geste officiel entérine son accession au statut de peintre. De fait, dans les mêmes années, Daumier entre pour la première fois au Salon, dont l'accès est, il est vrai, provisoirement plus facile, avec des œuvres inspirées du roman, de la mythologie et de la fable : en 1849, par exemple, Le Meunier, son fils et l'âne (City Art Gallery and Museum, Glasgow), en 1850-1851, Don Quichotte se rendant aux noces de Gamaches (coll. Paine, Boston) et le fameux dessin de l'Ivresse de Silène du musée de Calais (« Il y a là, s'exclament les Goncourt en 1860, un épanouissement dans la force, une santé dans la gaieté [...] quelque chose de gaulois, de dru et de libre que l'on ne trouverait peut-être nulle par ailleurs que chez Rabelais »).

Le choix de sujets littéraires, aux marges du « grand genre », l'influence de Rubens et des maîtres espagnols, évidente dans toutes ces œuvres, donnent la mesure des ambitions picturales de Daumier à cette époque. Deux éléments toutefois semblent avoir contrecarré ses efforts : en premier lieu, une certaine gêne financière due à un ralentissement passager de sa production lithographique, laquelle, bon an mal an, lui assurait jusque-là un revenu honorable ; d'autre part et surtout, sa difficulté à « finir », perçue d'emblée par la critique, et attestée par Delacroix dans son Journal comme par l'éditeur Poulet-Malassis dans une note manuscrite de 1852 (« Je recommence tout vingt-cinq fois ; à la fin je fais tout en deux jours »). Au regard des critères de l'époque, le « non-fini » constituait sans nul doute un grave manquement aux principes de l'art ; mais, rétrospectivement, ne pouvons-nous affirmer qu'il y a là l'une des clefs du « modernisme » de Daumier, par quoi il anticipe notamment l'impressionnisme et les fauves ?

On peut distinguer dès lors trois Daumier : le lithographe qui, à l'exception des années 1860-1863 où il est momentanément licencié par Le Charivari, ne cesse de travailler jusqu'au lendemain de la guerre de 1870 et de la Commune ; le peintre dont les recherches se poursuivent, se diversifient et redoublent même durant la parenthèse susdite ; le sculpteur, enfin, auquel nous devons, outre le Ratapoil (voir, par exemple, le tirage en bronze du musée d'Orsay, Paris), un étrange bas-relief, intitulé Les Émigrants (deux versions, Louvre, Paris), d'une admirable puissance expressive, et dont on ne sait trop s'il faut y voir une allusion masquée aux déportations de républicains survenues après 1848, ou bien une allégorie intemporelle de la destinée humaine.

S'agissant du peintre, on a tout lieu de croire, en dépit d'une absence presque totale de points de repères fiables – sur les quelque trois cents tableaux conservés, une dizaine à peine sont documentés du vivant de leur auteur –, qu'à compter des années 1850 sa production fut des plus fécondes et son public des plus minces. C'est, du reste, vers 1853 que Daumier se lie d'amitié avec les peintres de Barbizon, Corot,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

<it>Ratapoil</it>, H. Daumier - crédits :  Bridgeman Images

Ratapoil, H. Daumier

Crispin et Scapin, H. Daumier - crédits : Godong/ Universal Images Group/ Getty Images

Crispin et Scapin, H. Daumier

Don Quichotte, H. Daumier - crédits : Pierre Tetrel/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Don Quichotte, H. Daumier

Autres références

  • DAUMIER, L'ÉCRITURE DU LITHOGRAPHE (exposition)

    • Écrit par
    • 1 108 mots

    L'œuvre d'Honoré Daumier (1808-1879), trop longtemps ignorée dans sa diversité, a été redécouverte lors de la grande rétrospective qui s'est tenue au Galeries nationales du Grand Palais à Paris en 2000. Le bicentenaire de la naissance de l'artiste a permis d'approfondir la connaissance que...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ART (L'art et son objet) - Le faux en art

    • Écrit par
    • 6 715 mots
    ...simples croûtes. La rédaction d'un corpus, quand elle est sérieusement faite, est propre à endiguer cette inflation. Le corpus des peintures et dessins de Daumier, réalisé par K. E. Maison en 1968, a fait reculer le flot montant des apocryphes. Malheureusement, cette épuration n'a pas été faite pour les sculptures...
  • CARICATURE

    • Écrit par
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    Le plus grand de tous les caricaturistes fut certainement Honoré Daumier. Il sut dominer tous les sujets grâce à la souplesse de son graphisme, à son sens des proportions, à sa capacité de transformer les sujets qu'il traitait en symboles grandioses. Avec lui la caricature adhéra à l'histoire, devint...
  • GRAVURE

    • Écrit par et
    • 8 567 mots
    • 3 médias
    ...caricature les vices de son temps. La droite conservatrice anglaise, avec Isaac Cruikshank (1756-1816), ou la gauche républicaine française, avec Honoré Daumier, eurent, grâce à la gravure, des armes redoutables. C'est pourquoi les images furent souvent l'objet d'une censure plus stricte...
  • Afficher les 10 références