BALZAC HONORÉ DE (1799-1850)
Le drame et la verve
S'il convient d'insister sur le non-dit balzacien, c'est que l'impression première est celle d'un trop-dit. De la même façon, il convient de faire échapper le roman balzacien au moule où l'exclusive lecture de deux ou trois œuvres l'a trop vite enfermé. Il y a un Balzac « standard », qu'a imposé la lecture d'Eugénie Grandet, à vrai dire mal lue. Or, même dans le cas d'Eugénie Grandet, le début de l'ouvrage n'est pas une description, encore moins une description statique, que suivrait, sitôt passée cette zone si longue et si ennuyeuse à lire, le drame, né d'un événement cristallisateur. Après quoi la lecture se précipiterait, enfin ! d'une seule traite jusqu'au dénouement ! D'abord, le « drame » est présent dès le début. Ensuite, une certaine allégresse du ton donne à l'exposition elle-même un mouvement tout proche de l'oralité. Que l'on s'imagine lire l'ouvrage à haute voix, et les interpellations, les plaisanteries, les mots en italique, les citations de paroles du Saumurois reprennent vie et relief, la phrase retrouve toute sa verve, souvent satirique. La « description » est d'un moraliste et d'un homme d'esprit tout à la fois, l'un et l'autre doublés d'un auteur dramatique ayant le sens du mot juste. Et, avant toute chose, si l'on échappe au carcan des habitudes et de la seule esthétique de la représentation, on retrouvera le sens quelquefois perdu de la lecture de Balzac, qui est, avant tout, un inépuisable conteur, l'auteur, comme il voulait l'être, des « Mille et Une Nuits de l'Occident ». Pour illustrer ce propos, voici deux phrases du début d'Eugénie Grandet : « Les habitants de Saumur étant peu révolutionnaires, le père Grandet passa pour un homme hardi, un républicain, un patriote, pour un esprit qui donnait dans les nouvelles idées, tandis que le tonnelier donnait tout bonnement dans les vignes » ; et encore : « M. Grandet quitta les honneurs municipaux sans aucun regret. Il avait fait faire dans l'intérêt de la ville d'excellents chemins qui menaient à ses propriétés. » Il n'est aucun roman de Balzac qui ne supporte cette relecture revitalisante, presque toujours possible parce que fuyant, comme l'avait fait Diderot dans ses meilleurs récits, la platitude monocorde du sérieux monologique.
Il n'est pas question de nier le tragique de l'ensemble de La Comédie humaine. Mais toute la pensée de Balzac, toute sa méthode, tout le mouvement qui soulève sa création visent à maintenir la tension d'éléments contradictoires, à jouer des variations de perspective, des contrastes de ton, parfois de l'humour et plus souvent de l'ironie. L'adjectif qui conviendrait à maint roman de Balzac, c'est celui que, semble-t-il, il a créé : « comi-tragique » (« Encore la civilisation ! [...], répéta le médecin d'un air comi-tragique », Échantillon de causerie française). Jankélévitch utilise également le mot dans son ouvrage sur l'ironie, alors que Ionesco recourt à comico-tragique. Là est le paradoxe d'une œuvre dont les romans sont autant d'histoires fascinantes, dont le mouvement dramatique oblige le lecteur à se prendre et à se laisser prendre au récit de tant de destinées malheureuses, qui constituent pourtant une œuvre dont l'écriture est créatrice de distance, de mouvement et de stéréoscopie. « Les petits paillassons piteux de sparterie » n'empêchent pas d'imaginer la nauséabonde odeur de la pension Vauquer, et pourtant le jeu des syllabes est là, et il faut le lire. Le Lys dans la vallée demeure un grand roman lyrique, mais Balzac a inventé, dans un deuxième temps de la rédaction de son manuscrit, que le récit fait par Félix de Vandenesse attendri[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maurice MÉNARD : professeur émérite à l'université du Maine, Le Mans
Classification
Médias
Autres références
-
LA PEAU DE CHAGRIN (H. de Balzac) - Fiche de lecture
- Écrit par Maurice MÉNARD
- 1 008 mots
- 1 média
Balzac (1799-1830) a rédigé de 1816 à 1822 – entre dix-neuf et vingt-trois ans – un certain nombre d'essais philosophiques : un Discours sur l'immortalité de l'âme, différentes lectures de philosophes (Malebranche, Descartes, Spinoza, d'Holbach), un Essai sur le génie...
-
MÉMOIRES DE DEUX JEUNES MARIÉES (Honoré de Balzac) - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 367 mots
Mémoires de deux jeunes mariées est un roman épistolaire d’Honoré de Balzac (1799-1850). D’abord publié en feuilleton, en trois parties, dans le journalLa Presse, le livre paraît en janvier 1842 chez Souverain, assorti d’une préface et d’une dédicace à George Sand datées de 1840....
-
LES CHOUANS, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 131 mots
- 1 média
Publié en mars 1829, Les Chouans, ou la Bretagne en 1799, qui s'intitule alors Le Dernier Chouan, est le premier roman qu'Honoré de Balzac (1799-1850) signe de son patronyme. Il marque donc sa véritable entrée en littérature et constitue le point de départ de La Comédie humaine. L'ouvrage...
-
LA COMÉDIE HUMAINE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Maurice MÉNARD
- 933 mots
- 2 médias
Le premier roman signé Balzac (1799-1850) est paru en 1829 : c'est Le Dernier Chouan, qui deviendra Les Chouans en 1834. Le titre La Comédie humaine vient à Balzac en 1840, sans doute inspiré par La Divine Comédie de Dante. Titre nouveau qui remplace celui d'Études sociales envisagé...
-
LA COUSINE BETTE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 207 mots
Avant-dernier roman d'Honoré de Balzac (1799-1850), paru en feuilleton en 1846, La Cousine Bette forme avec Le Cousin Pons le diptyque des Parents pauvres. Composées simultanément, les deux œuvres présentent d'importants parallélismes. Toutes deux « Études de mœurs » et « Scènes de la vie parisienne...
-
LE COUSIN PONS, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 361 mots
- 1 média
Dernier roman achevé et publié par Balzac (1799-1850), Le Cousin Pons paraît en feuilleton de mars à mai 1847. Une première ébauche en a été rédigée un an plus tôt, alors que l'auteur vient de traverser une période difficile où, pour la première fois dans sa vie d'écrivain, il a connu la panne d'inspiration....
-
L'ENVERS DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 191 mots
Dernière œuvre écrite et achevée par Honoré de Balzac (1799-1850), L'Envers de l'histoire contemporaine ne paraît en volume qu'après sa mort. C'est néanmoins assez tôt qu'il a l'idée de ce roman dont il rédige et fait paraître dans la presse la première partie, ...
-
EUGÉNIE GRANDET, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 858 mots
Eugénie Grandet est un roman d'Honoré de Balzac (1799-1850), publié en 1834 chez Madame Charles-Béchet. L'année précédente, le premier chapitre, « Physionomies bourgeoises », avait paru dans L'Europe littéraire sous le titre Eugénie Grandet, une histoire de province.
En 1833,...
-
HISTOIRE DE LA GRANDEUR ET DE LA DÉCADENCE DE CÉSAR BIROTTEAU, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 138 mots
C'est en 1831 qu'Honoré de Balzac (1799-1850) eut l'idée de l'Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau. Mais, doutant de l'attrait qu'il pourrait exercer sur le public, il fit longtemps traîner la mise en chantier du roman : « J'ai conservé ...
-
HISTOIRE DES TREIZE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 171 mots
- 1 média
Publiée de 1833 à 1835, Histoire des Treize se compose de trois récits – Ferragus, chef des dévorants, La Duchesse de Langeais, La Fille aux yeux d'or – qui retracent quelques-unes des aventures des membres d'une société secrète. Les Treize sont des hommes supérieurs qui, lassés de leur...
-
ILLUSIONS PERDUES, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 383 mots
- 1 média
Dédié à Victor Hugo, Illusions perdues est non seulement le plus vaste roman de La Comédie humaine, mais une de ses clés de voûte. Plongeant ses racines dans Le Père Goriot (1834) dont il reprend un des principaux personnages en même temps qu'un des éléments de l'intrigue, il se poursuit dans...
-
LOUIS LAMBERT, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 332 mots
- 1 média
La Notice biographique sur Louis Lambert parut en 1832, achevant l'édition des Nouveaux Contes philosophiques. Mais Balzac (1799-1850) remania son texte à plusieurs reprises et en offrit des versions successives, avant que celui-ci ne trouve une fortune et un titre définitifs au tome XVI de...
-
LE PÈRE GORIOT, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Maurice MÉNARD
- 1 060 mots
- 1 média
Lorsqu'il commence d'écrire Le Père Goriot, en septembre 1834, Balzac (1799-1850) vit un moment décisif de sa création littéraire. Le principe organisateur des regroupements de romans par Scènes, puis par Études se découvre à lui dans toute sa dimension, et, dans une lettre à M...
-
LA RABOUILLEUSE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 231 mots
- 1 média
De tous les grands romans de Balzac (1799-1850), La Rabouilleuse est peut-être un des plus méconnus. Il s'agit pourtant d'une œuvre de complète maturité, strictement contemporaine de l'Avant-Propos dans lequel l'auteur explique le titre et le dessein de La Comédie humaine...
-
SPLENDEURS ET MISÈRES DES COURTISANES, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 217 mots
- 1 média
Venant à la suite d’Illusions perdues, mais rédigé en fait en même temps que lui, Splendeurs et misères des courtisanes occupe dans l’œuvre d’Honoré de Balzac (1799-1850) une place privilégiée. C’est le roman qui l’aura accaparé le plus longtemps : de 1835, avec la conception du personnage d’Esther,...
-
UNE TÉNÉBREUSE AFFAIRE, Honoré de Balzac - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 274 mots
Paru en feuilleton dans Le Commerce en 1841, puis en volume en 1843, Une ténébreuse affaire s'inspire d'un fait réel qui avait défrayé la chronique quarante ans plus tôt. Dans La Comédie humaine, le roman s'inscrit parmi les « Scènes de la vie politique ».
En septembre 1800,...
-
ROMANTISME
- Écrit par Henri PEYRE et Henri ZERNER
- 22 170 mots
- 24 médias
...Beethoven déclare à un de ses correspondants, Wegeler : « Je voudrais étreindre le monde. » Ce n'est point par goût du monstrueux seulement que Balzac, Hugo, le Flaubert de La Tentation de saint Antoinechérissent les monomaniaques, les géants ou les monstres. Ils veulent tous libérer dans leurs... -
COURIER PAUL-LOUIS (1772-1825)
- Écrit par ETIEMBLE et Encyclopædia Universalis
- 1 407 mots
...homme « de gauche », le romancier de La Chartreuse. Lorsque parut en 1830 la fameuse édition de Courier, préfacée par le républicain Armand Carrel, Balzac y alla d'une page trop peu connue : « Les délicieux pamphlets de Courier, lus après les circonstances qui les ont suscités et qui les ont fait comprendre,... -
ENCADREMENT DES ŒUVRES, histoire de l'art occidental
- Écrit par Adrien GOETZ
- 2 362 mots
À l'époque romantique, le cadre est par excellence le signe bourgeois de la possession de l'œuvre d'art. Balzac, dans Pierre Grassou (1839) décrit un parvenu collectionneur de croûtes sous la monarchie de Juillet : le romancier insiste, en décrivant sa galerie, beaucoup plus sur les bordures dorées... -
FEUILLETON
- Écrit par Jacques DUBOIS
- 2 495 mots
- 3 médias
...d'importance vont s'identifier tout particulièrement à ces nouvelles conditions de production, explorant et exploitant toutes leurs ressources. On songe ici à Balzac pour la France et à Dickens pour la Grande-Bretagne, dont les carrières offrent plus d'un trait commun. Ils sont de ceux qui participent au mouvement... - Afficher les 23 références