HORACE, Pierre Corneille Fiche de lecture
On a coutume de lire Horace (joué en 1640 au théâtre du Marais, publié en 1641) et Cinna (probablement jouée en 1641 au théâtre du Marais, et publiée en 1643) comme des tragédies idéalisantes où se met en place un équilibre dramaturgique. L'ambition y est guidée par la volonté dans une voie vertueuse, vers une soif de gloire aristocratique jugulée par un gouvernement juste et monarchique. L'amour, lui-même digne de l'ambition puisqu'il est fondé sur l'estime et que le jugement de la raison l'autorise, doit céder devant l'intérêt de l'État. Ce serait donc d'une Rome de marbre que parlerait Corneille (1606-1684), d'un État et d'un héros soumis à la Providence et protégés par Elle.
Il s'agit là aussi de sa première véritable tragédie, à nouveau scandée par une querelle – moindre que celle du Cid – parce que encore marquée par la distance prise par rapport aux règles : plusieurs lieux pour l'action, un meurtre sur scène qui sera finalement déplacé dans les coulisses, une intrigue en trois temps – Horace et le combat qu'il mène avec ses frères pour Rome, Horace tuant sa sœur, Horace jugé pour le meurtre de Camille. Cette œuvre de professionnel du théâtre, conscient d'être lui-même à part de tous les autres par son talent, met somptueusement en scène l'héroïsme flamboyant attaché à l'aristocrate, au « Grand » pris entre, d'un côté, les valeurs de la tendresse et de la pastorale (Camille, Curiace), et, de l'autre, celles de l'État monarchique (Tulle).
Le héros cornélien
Horace est donc une tragédie romaine, avec comme source Tite-Live, figure classique de l'historien antique. Et c'est avec l'entrée de Rome dans l'Histoire que le héros se constitue, en faisant reconnaître sa gloire et sa valeur. Par le combat contre les Curiaces, Horace, sur les ordres du roi Tulle, sait vaincre, quitte à utiliser la ruse – un héros sait aussi calculer pour le bien de l'État et pour son bien propre – en faisant semblant de fuir. Sa victoire fait de lui l'incarnation des valeurs fondamentales de la Cité – trop peut-être, puisqu'il risque ainsi de menacer la couronne –, schéma dramaturgique et politique typique de Corneille.
Mais la tragédie prend un nouveau cours, lorsque Horace en vient à tuer sa sœur Camille, qui aimait un des Curiaces. Pour préserver Rome, il exclut celle qui agresse la Cité, mais en prenant sur lui de résoudre l'affaire par une exécution qui devient un meurtre fratricide. Lors de cet acte terrible, le héros ne cède ni à la fureur ni à la folie meurtrière. Il tue au nom de la raison, loin de toute animalité, une sœur qui conteste violemment les valeurs romaines : « Ne me dis point qu'elle est et mon sang et ma sœur./ Mon père ne peut plus l'avouer pour sa fille :/ Qui maudit son pays renonce à sa famille,/ Des noms si pleins d'amour ne lui sont plus permis ;/ De ses plus chers parents il fait ses ennemis :/ Le sang même les arme en haine de son crime./ La plus prompte vengeance en est plus légitime ;/ Et ce souhait impie, encore qu'impuissant,/ Est un monstre qu'il faut étouffer en naissant. » Dès lors, ce n'est pas la qualité du geste que le roi va condamner, mais le fait que la sentence ait été rendue par le frère dans l'enclos de la famille, alors que l'État eût dû statuer. C'est bien le sens de la dernière partie de cette tragédie, de ce tribunal où Tulle réintègre le héros fautif dans l'État à la condition expresse qu'il fasse acte d'allégeance au pouvoir royal. Car si Rome peut avoir une chance d'accéder légitimement à l'Histoire, il faut qu'elle soit unie autour de son roi et instaure ainsi la modernité monarchique. Là repose l'équilibre, qui légitime l'exclusion d'Albe (la blanche, la pure) et de ses valeurs archaïques.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification