HORACE (65-8 av. J.-C.)
La sagesse des « Épîtres »
Parallèlement à cet effort de création qui le rendrait immortel, il le savait bien (Odes, III, xxx), Horace, jusqu'au terme de sa vie, s'est délassé dans des œuvres plus faciles qui continuent ces entretiens qu'avaient été les premières Satires. D'abord un second livre de Satires (vers 30), puis des Épîtres (entre 20 et 10) qui formellement ne se distinguent guère des Satires que par l'adresse de chacune à un destinataire défini. Cette différence a cependant son importance. Horace était, ce semble, de ces esprits qui ne prennent tout à fait possession d'eux-mêmes qu'en présence d'autrui ; mais, selon que l'interlocuteur est tel ou tel, c'est autre chose qu'on découvre en soi ; les Épîtres sont donc beaucoup plus personnelles. On a cru y découvrir l'attrait d'une sagesse nouvelle : Horace attend moins du hasard, des circonstances, de l'instant ; il s'appuie davantage sur l'expérience d'un pouvoir intime qu'il a découvert en lui : sa liberté comme aptitude à accueillir amicalement tout ce qu'offre la vie. Au point de vue théorique, il prend son bien de tous côtés, grand liseur sans doute mais incapable de s'enrôler dans une école de pensée. Il est facile de le mettre en contradiction avec lui-même. C'est qu'à ses yeux la morale n'est pas faite de maximes généralisables ; elle est plutôt affaire d'attention et de jugement. Il peut conseiller, il n'a pas à enseigner ; ce qu'il apporte, c'est son regard amical, sa confiance, sa gaieté, comme s'il induisait chacun à se trouver pour lui-même et à chaque instant sa morale.
Il est une de ces Épîtres qui a connu aux temps modernes une fortune extraordinaire, celle que nous appelons l'Art poétiqueet qui est en fait une très longue lettre (476 v.) adressée à de jeunes amis, les frères Pison, sur les problèmes du théâtre romain. C'était un sujet d'actualité, Auguste lui-même s'y intéressait et Horace l'avait déjà traité, s'adressant à l'empereur (Épîtres II, i). En fait, les problèmes propres à l'art dramatique ne sont directement abordés que dans la partie centrale (v. 153-294) de l'épître et le développement y reste un peu en l'air, faute de points d'appui dans la réalité contemporaine. En revanche, le début et la fin sont consacrés à des questions d'esthétique générale qui intéressent sans doute le théâtre mais portent, aussi, beaucoup plus loin ; Horace y apparaît fort d'expériences personnelles mais aussi d'immenses lectures. Dans ce feu d'artifice de formules frappantes, devant la mobilité des points de vue successivement adoptés, souvent égaré par des polémiques dont il n'arrive plus à discerner l'objet, le lecteur moderne se décourage quelquefois. Ici encore et d'autant plus que les principes posés semblent plus inévitables, il faut pour rendre au texte sa verdeur les secours de l'érudition. Entre Aristote et les théoriciens du classicisme européen, Horace a sa position propre : plus qu'à la raison et à l'imitation, il croit à l'art parce que l'art seul, et non pas la nature, est capable de constituer des objets liés d'une nécessité interne ; mais cette unité interne à laquelle il tient si fort n'inclut pas nécessairement l'unité de ton ; ses déclarations sur le drame satirique (v. 220-250) le montrent assez ; Shakespeare peut-être ne l'eût pas scandalisé.
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Écrit par
- Jacques PERRET : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne
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