HOURRA LES MORTS ! (F. Venaille)
Dans le texte qui sert de préface à Capitaine de l'angoisse animale, l'anthologie parue en 1999 chez Obsidiane-Le temps qu'il fait, Franck Venaille se présente ainsi : « Son œuvre est un procès permanent à la vie et prend ses racines dans l'Éros, la violence, le ressentiment d'être né, une forme d'humour jaune de plus en plus présente […] une attirance – une curiosité non morbide plutôt – pour la mort. » De fait, Hourra les morts! (Obsidiane, 2004) chante le passé et ses nostalgies refusées, les remords qu'il charrie, le regret des occasions manquées, des défis avortés, du temps qui passe et qui change : « Ah ! Carillons, carillonnez, ah ! / N'ai-je pas toute la mort devant moi pour me retrouver! » Le poème sera fait d'abord de cette mort, de ces retours sur des passés encore ouverts sur des possibles. Sombre et jubilatoire, l'écriture regimbe devant les langages tout faits : « Me préoccupe plutôt ce langage du dessous qui fut le nôtre. / Ce rôle des souterrains. / Ces métastases dans la langue elle-même, dites, est-ce si mortel que cela ? »
Dans cette épopée « autobiographique » sans héros, « chahutée, exubérante et noire », qui se déroule dans le triangle délimité par les rues Paul Bert, Chanzy et Faidherbe dans le XIe – chiffre magique et récurrent – arrondissement de Paris, temps et lieux, détails puisés à la source du commun sont autant d'invites à la mise au langage des expériences qui font une vie. Vie toujours ailleurs, hantée de rêves, minée d'insatisfactions, gorgée d'espoirs, jamais satisfaite, définitivement insoumise. À la vie défunte, passée comme les premiers émois et troubles de la chair, aux expériences futiles et nécessaires, aux amitiés sans suite, aux instants importants seulement dans l'instant où ils ont été vécus – et dont le match de football représenterait la métaphore idéale –, l'écriture crie « Hourra! » (le cri d'assaut ou de joie des cosaques ou des marins anglais), charriant le chaos des souvenirs qui n'arrivent pas à faire un monde mais trouvent abri dans le verbe. Le poème, en sa force transfiguratrice fait ainsi remonter à la surface, telles des figures d'Ensor (le peintre d'Ostende, ville où Franck Venaille situe imaginairement son lieu de naissance), des personnages réels ou imaginés, violemment ivres de vie et de mort. « Marcheurs ! Heureux marcheurs ! Que sortent pour la nuit les gueules cassées, les accidentés de la vie difficile, toute la monstrueuse famille monstrueuse des monstres. / Et votre serviteur qui garde ses gants pour pleurer ».
À l'origine de cette geste poétique, il y a le traumatisme de la guerre d'Algérie que des recueils parus en 1978 et 1981 et republiés en un volume sous le nom d'Algeria (Léo Scheer, 2004) donnent à lire. Ici, les affres de la chair sous toutes ses formes, la violence dans sa crudité, la douleur d'être font exploser le verbe. La parole va son train heurté ; fredons, ritournelles de mots et syntagmes répétés brisent la syntaxe qui ne peut contenir tant de violence. « Un peu de sang c'est cela un peu de sang seulement coulait du sang. Alors au lieu de leur marcher dessus d'essuyer mes godasses sur leur visage je les ai, l'un après l'autre, enjambés. » Cruelle musique, chaotique, éperdue, en quête d'impossibles consolations – telle apparaît la parole poétique de l'auteur.
Tendresse et humour, inventions verbales, désir effréné de dire, de faire savoir avec le sens du détail le plus précis tout ce qu'une vie peut ramener au verbe, constituent les impulsions à l'œuvre dans l'écriture du poème. Le sens du rythme, oral et musical, savant et populaire est certainement, sur le plan littéraire, ce que le lecteur retient d'abord de [...]
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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