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HUGO VAN DER GOES. ENTRE DOULEUR ET BÉATITUDE (exposition)

La réunion exceptionnelle d’œuvres de Van der Goes à la Gemäldegalerie de Berlin (31 mars-16 juillet 2023), entourée de témoignages du milieu artistique dans lequel sa formation s’est déroulée – d’œuvres parfois lointaines géographiquement, de Holbein l’Ancien au Maître de Moulins, qui portent l’influence de ses créations et de nombreuses copies de celles de ses peintures qui se sont perdues – a superbement confirmé la place de premier plan qu’il occupe dans l’art flamand de la seconde moitié du xve siècle, et qui le situe au côté des plus grands, en digne héritier d’hommes comme Jan Van Eyck, Petrus Christus, Rogier Van der Weyden, Dirk Bouts. Sa carrière est d’autant plus étonnante qu’elle a été brève puisque, s’il est reçu maître peintre à Gand en 1467, il meurt en 1482 ou 1483. Il est pleinement reconnu et demandé par diverses autorités communales et princières, et on sait qu’il travaille pour les fêtes du mariage de Charles le Téméraire ou pour d’autres célébrations ordonnées par le duc de Bourgogne.

Donner à voir

Un petit nombre d’œuvres de sa main, d’une immense qualité, suffisent à nous éblouir. Dans le RetableMonforte (Gemäldegalerie, Berlin, v. 1470-1475), une tension très particulière naît de la juxtaposition d’un naturalisme sensible hérité de Van Eyck, que Van der Goes a su réellement assimiler, et du profond questionnement exprimé par les principaux acteurs de cette adoration des mages. Les iris, derrière le muret à gauche, la coupe d’orfèvrerie du premier plan, sont d’un illusionnisme plein de vie. Mais ils portent une telle intensité dans leur présence qu’ils participent eux aussi au dynamisme de la composition. Par la monumentalité des figures, pleines de force et de stabilité, une plénitude permet aux corps de supporter l’inquiétude qui les traverse. Délaissant la structure en plans parallèles au bord du panneau, que l’on voit chez bien de ses prédécesseurs, Van der Goes fonde ici l’ensemble sur la diagonale d’un mur vu en perspective. Cet effet de profondeur se retrouve dans l’imbrication des plans et dans les raccourcis.

Hugo Van der Goes va bien au-delà de ce que signifie habituellement représenter : il donne à voir. Cela est évident dans la très étonnante Nativité (Gemäldegalerie, Berlin, v. 1480), qui peut s’offrir à nos yeux parce que deux prophètes écartent un rideau éminemment symbolique. La Nativité nous est ainsi révélée, littéralement, c’est-à-dire dégagée d’un voile. Le principe de la cortina, ce rideau écarté, est ancien dans l’art médiéval, par exemple pour encadrer les portraits des évangélistes. Mais alors qu’il est presque toujours traité comme un signe, une information, il devient ici une forme vivante. Van der Goes n’expose pas une idée, un point de dogme, il lui donne une vie identique à celle des âmes humaines dont il nourrit son œuvre. Les deux bergers qui arrivent en trombe, à gauche, ne respectent en rien les « bonnes manières » qu’appellerait l’adoration de l’Enfant.

<em>La Mort de la Vierge</em>, H. Van der Goes - crédits : J. Martin/ AKG-images

La Mort de la Vierge, H. Van der Goes

Cet abandon de toute la décence sociale habituelle dans l’expression des sentiments atteint son paroxysme dans La Mort de la Vierge (Groeningemuseum, Bruges, v. 1480). Le lit à la fois redressé et en diagonale ne nous place pas à distance respectueuse de la Vierge défunte, et nous sommes comme projetés vers ce qui devient l’image crue de la mort d’un être proche, dans une évocation dramatique à laquelle participe l’attitude du Christ qui, depuis la partie supérieure du tableau, ouvre ses bras pour accueillir l’âme de sa mère. C’est bien ainsi que les apôtres vivent ce moment, dans des postures d’où toute convention est bannie. La souffrance est telle qu’ils ne dirigent plus leurs yeux vers la Vierge, mais leurs regards ne sont pas non plus orientés dans une autre direction : ils sont désespérément vides. Ces hommes vivent une étape de l’histoire[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

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Média

<em>La Mort de la Vierge</em>, H. Van der Goes - crédits : J. Martin/ AKG-images

La Mort de la Vierge, H. Van der Goes