HOFMANNSTHAL HUGO VON (1874-1929)
« Finis Austriae »
La Première Guerre mondiale, qui préparait la fin de cette culture européenne de la Belle Époque à laquelle Hofmannsthal s'était identifié, obligea un écrivain resté longtemps « apolitique » à sortir de sa tour d'ivoire. L'année 1917 marque chez Hofmannsthal le point culminant de ses efforts de « politique culturelle » (tournées de conférences, articles, programmes éditoriaux) au service de « L'idée autrichienne », pour reprendre le titre d'un article qu'il publie, en français, le 15 novembre 1917 dans La Revue d'Autriche, une revue du « groupe de propagande » du « quartier de presse de guerre ». Affirmant que l'Autriche, profondément différente de l'Allemagne prussienne, est la base indispensable de l'Europe centrale danubienne, la synthèse de l'Est et de l'Ouest, de la tradition romaine, méridionale, et de la civilisation germanique, Hofmannsthal donne dans ces textes des années de guerre sa version personnelle du « mythe habsbourgeois », que Claudio Magris a magistralement étudié : c'est au moment où la monarchie habsbourgeoise disparaît de la carte européenne que les intellectuels autrichiens la parent de toutes les vertus...
« Avec l'effondrement de l'Autriche, j'ai perdu le terreau dans lequel j'étais enraciné », écrira Hofmannsthal en 1928 à l'historien et homme politique Josef Redlich. La comédie de caractère L'Homme difficile, commencée en 1917, achevée en 1920, dont la première eut lieu à Munich le 8 novembre 1821 et que l'on peut considérer comme un chef-d'œuvre du théâtre de tradition moliéresque, fait revivre lord Chandos en la personne du « misanthrope », le comte Hans Karl Bühl, qui a frôlé la mort sur les champs de bataille de la Grande Guerre et qui hésite à parler devant la Chambre des pairs (une institution de l'ancienne Autriche, abolie par la Première République !). Le scepticisme linguistique de l'esthète de 1902 a fait place au désespoir de l'humaniste qui ne croit plus à la force des mots, ni des textes, pour redresser le cours erratique de la culture européenne.
Dans Les Écrits, espace spirituel de la nation, son discours de 1927 prononcé dans le grand amphithéâtre de l'université de Munich, Hofmannsthal s'efforcera de reprendre et d'actualiser ses conceptions de la tradition culturelle et de la condition moderne, sa vision des relations entre littérature et société et sa définition de la mission culturelle qui incombe à l'écrivain néo-humaniste. Ce discours d'une grande hauteur de vues contient une phrase lourde de malentendus et qui a été souvent reprochée à Hofmannsthal : appelant à un redressement de la culture allemande, il concluait sur ces mots : « Le processus dont je parle n'est rien d'autre qu'une révolution conservatrice d'une portée sans précédent dans l'histoire européenne. Son but est une réalité allemande nouvelle à laquelle la nation allemande entière puisse participer. » Les mots étaient, hélas ! bien mal choisis et ne pouvaient qu'entraîner la pire des confusions. Par le recours à l'expression de « révolution conservatrice », il semblait faire allégeance au mouvement d'extrême droite nationaliste dont Arthur Moeller van den Bruck fut un représentant.
Un des derniers grands chantiers de Hofmannsthal, le drame La Tour, est inspiré par La vie est un songe de Calderón. Ce n'est pas, à vrai dire, la seule référence historique de l'auteur dans cette œuvre où l'intertextualité, qui a toujours caractérisé la manière hofmannsthalienne, atteint à son maximum de complexité. La Tour dépeint le dérèglement du monde et le royaume de Pologne livré à la barbarie. Walter Benjamin, prié par Hofmannsthal de donner son avis sur le manuscrit[...]
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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