DREYFUS HUGUETTE (1928-2016)

Entre les rares pionniers du xx^e siècle commençant et la foisonnante génération des interprètes contemporains, Huguette Dreyfus occupe une place essentielle dans la renaissance du clavecin en France. Partenaire à la fois des tenants d’une nouvelle approche de la musiquebaroque et des partisans du maintien des conceptions traditionnelles, elle impose sa personnalité avec un classicisme discret qui défie les modes.

Huguette Dreyfus naît à Mulhouse le 30 novembre 1928. Elle aborde l’étude du piano dès l’âge de quatre ans. Réfugiée à Vichy avec sa famille quand éclate la Seconde Guerre mondiale, elle entre, sous un faux nom, au Conservatoire de Clermont-Ferrand et obtient, à seize ans, un premier prix de piano. Dès la Libération, elle vient se perfectionner à l’École normale de musique puis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où elle travaille avec Lazare-Lévy. En 1950, dans la classe que dirige le musicologue Norbert Dufourcq, elle découvre le clavecin. Elle décide alors de se consacrer entièrement à cet instrument et à son vaste répertoire. Elle s’inscrit aux cours que donne, rue de Madrid, Jacqueline Masson, et va se perfectionner en 1953 auprès de l’un des élèves préférés de Wanda Landowska, Ruggero Gerlin, à l’Accademia Musicale Chigiana de Sienne (Italie). En 1958, elle remporte la deuxième médaille au Concours international de Genève, la première n’ayant pas été décernée. Sa famille lui offre alors son premier clavecin ancien, signé au xviii^e siècle par Nicolas Blanchet. Plus tard, elle possédera un magnifique instrument de la même époque, construit par un célèbre facteur d’origine allemande installé à Paris, Jean-Henri Hemsch. Une tournée aux États-Unis établit sa réputation internationale dès 1963. Elle donne de premiers cours d’été à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. Elle est nommée en 1967 professeur à la Schola Cantorum de Paris puis au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, où elle officiera jusqu’en 1994. Longue est la liste des disciples qu’elle forme pendant sa longue carrière d’enseignante : Christophe Rousset, Olivier Baumont, Jory Vinikour, Noëlle Spieth, Yannick Le Gaillard et Blandine Verlet entre autres. Aussi à l’aise au pianoforte qu’au clavecin, Huguette Dreyfus se produit en compagnie de confrères réputés comme Luciano Sgrizzi, Lionel Rogg ou Luigi Ferdinando Tagliavini. Elle choisit ses complices aussi bien dans la mouvance baroque contestataire – comme Eduard Melkus, avec qui elle signe une très remarquable intégrale des sonates pour violon et clavecin de Jean-Sébastien Bach – que parmi ceux qui prônent une certaine orthodoxie musicale, comme les flûtistes Jean-Pierre Rampal, Christian Lardé et Michel Debost, les violonistes Henryk Szeryng et Georg Friedrich Hendel, ou encore le chef d’orchestre Paul Kuentz. Elle enregistre même sous la direction de Pierre Boulez quelques pages de Carl Philipp Emanuel Bach.

Au sein d’une imposante discographie d'Huguette Dreyfus chez Valois, Archiv, Erato et Denon, très partiellement rééditée en numérique, Jean-Sébastien Bach occupe une place dominante. Sont aussi à l’honneur de nombreuses partitions dues à la plume de Couperin, Rameau, Scarlatti, Corelli, Biber, Wilhelm Friedemann Bach, sans oublier, au pianoforte, quelques sonates de Haydn et de Mozart. Huguette Dreyfus s’y distingue par une esthétique faite de clarté, d’équilibre et d’élégance. Elle ne se désintéresse pas pour autant de la musique de son temps. Elle grave en 1960 des extraits de Mikrokosmosde Béla Bartók dans une transcription pour clavecin autorisée par le compositeur lui-même. En 1973, elle crée le concerto pour clavecin de Günter Bialas. Elle donne à Ornans en 1991, en compagnie de Maurice Bourgue (hautbois), Bernard Balet (percussions) et Bernard Cazauran (contrebasse), la première audition des Citations[...]