HUIS CLOS, Jean-Paul Sartre Fiche de lecture
Une tragédie des Temps modernes ?
Huis clos est indissociable de L'Être et le Néant, publié en 1943, et dont il peut apparaître comme la mise en « situation », littéraire et vulgarisée. La pièce illustre en effet quelques-unes des thèses développées par Sartre dans cette somme philosophique. Au commencement, il y a la liberté humaine. On connaît le célèbre paradoxe : « Nous sommes condamnés à être libres. » C'est que cette liberté est vécue le plus souvent comme source d'angoisse, dans la mesure où elle nous contraint à faire en permanence des choix qui nous engagent. Nous sommes nos actes, et de ces actes nous sommes entièrement responsables (« Seuls les actes décident de ce qu'on a voulu. [...] Tu n'es rien d'autre que ta vie », déclare Inès). Si Garcin, Inès et Estelle sont coupables, c'est parce que leurs crimes ne sont nullement le fruit d'on ne sait quel déterminisme (divin, social ou psychanalytique). Pour échapper à cette angoisse, s'offre alors la solution de la « mauvaise foi ». Dans la pièce, chaque personnage, à peine avoués ses forfaits, cède à la tentation de mentir et pis, de se mentir à soi-même. Mais les deux autres ne manquent pas de le replacer face à sa responsabilité : nul bourreau ici qu'autrui, qui vous tend le miroir impitoyable de votre propre vérité (« Voulez-vous que je vous serve de miroir ? », « Eh bien, Garcin ? Nous voici nus comme des vers »). Car – et c'est le troisième et principal thème de la pièce – nous ne sommes pas seuls au monde. Et, les libertés étant inconciliables, notre rapport à autrui est d'abord et avant tout conflictuel. Chaque individu est condamné à exister dans et par le regard d'autrui : « Je ne suis rien, dit Inès, que le regard qui te voit, que cette pensée incolore qui te pense. » Est-ce à dire que toute coexistence est impossible ? Sans doute pas. Et si le propos sartrien est pessimiste, il n'est pas désespéré pour autant, comme en témoigne peut-être la réplique finale, ambiguë à souhait : « Continuons. »
Cette dimension philosophique de la pièce est sans doute ce qui nous la rend aujourd'hui quelque peu étrangère. Non que ses enjeux ou son message soient devenus obsolètes ; mais c'est la conception même d'un théâtre « à thèse », commune à la plupart des auteurs de l'époque, qui s'est éloignée de nous. Et dans la tentative de (re)créer une tragédie des Temps modernes, qui substitue la liberté à la fatalité, la postérité semble avoir, pour l'heure, préféré Beckett ou Adamov à Sartre ou Camus. Reste le dépouillement d'une forme dramaturgique qui, elle, n'a pas vieilli : ni intrigue ni véritable psychologie, nul pathos, peu d'effets stylistiques, une circularité spatiale et temporelle étouffante que le dernier mot ne viendra pas « dénouer »... Les inventeurs du « théâtre de l'absurde » et leurs successeurs s'en souviendront.
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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Autres références
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AUTRUI (notions de base)
- Écrit par Philippe GRANAROLO
- 3 534 mots
...donc menacés par le regard de l’autre, quelles que soient ses intentions à notre égard. Sartre, philosophe en même temps que dramaturge, illustrera dans sa pièce de théâtre Huis clos (1944) les réflexions développées dans L’Être et le Néant. « L’enfer c’est les autres » : cette réplique, souvent...