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HUMAINS ET NON-HUMAINS (anthropologie)

Philippe Descola a défini l’anthropologie comme l’étude des relations entre humains et non-humains dans des sociétés où celles-ci ne s’appuient pas sur l’opposition entre nature et culture qui a structuré les sciences européennes (2005). Ainsi, dans les sociétés amazoniennes, les animaux et les plantes sont traités comme des personnes à travers les chants qui leur sont adressés lors de la chasse ou du jardinage. Cette définition reprend les questions classiques posées par l’anthropologie sociale à la lumière de la sociologie des sciences, car elle conduit à étudier les différentes façons dont se composent des collectifs d’humains et de non-humains.

Du symbolique au signe : vers une anthropologie de la nature

Au début du xxe siècle, le philosophe Lucien Lévy-Bruhl (1910) s’interrogeait déjà au sujet de ce que, selon l’ethnographe Karl von den Steinen, un informateur bakaïri du bassin du Haut Xingu brésilien lui avait rapporté : « Les Bororo sont des perroquets ara et les Trumai sont des animaux aquatiques ». Lévy-Bruhl y voyait l’application d’un principe de participation et d’une logique affective en fonction de laquelle les humains s’identifient aux non-humains qu’ils mangent au cours d’un repas totémique et qu’ils considèrent comme des ancêtres. Un demi-siècle plus tard, Claude Lévi-Strauss (1962) a remarqué que l’on ne pouvait pas synthétiser ces relations entre humains et non-humains dans une institution totémique, mais qu’il fallait plutôt dresser la carte des classifications mythologiques qui permettent aux humains de penser les situations contradictoires de leur vie quotidienne à travers l’invocation d’animaux, de plantes, d’astres ou de pierres. Cependant, Lévy-Bruhl et Lévi-Strauss considéraient les animaux et les plantes comme des porteurs de représentations symboliques construites par les sociétés humaines.

Eduardo Viveiros de Castro a analysé les énoncés des chamanes amazoniens en montrant que, lorsqu’ils se préparent à la chasse ou à la guerre, ils adoptent le point de vue des animaux qu’ils vont rencontrer en forêt. Viveiros de Castro souligne que les relations sociales en Amazonie sont déterminées par un schème de prédation, c’est-à-dire par l’opposition entre la proie et le prédateur qui détermine les relations entre affins et ennemis. Dans ces sociétés, le chasseur peut tuer sa proie parce qu’il partage avec elle une forme d’humanité, ce qui le conduit à se considérer lui-même comme un animal dans le regard de sa proie. « Si la lune, les serpents et les jaguars voient les humains comme des tapirs ou des porcs sauvages, c’est parce que, tout comme nous, ils mangent des tapirs et des porcs sauvages, nourriture propre à leur gent. Il ne peut en être qu’ainsi, car étant une gent singulière, les non-humains voient les choses comme nous voyons. Mais les choses qu’ils voient sont autres : ce qui pour nous est du sang, pour le jaguar est du cauim [une sorte de bière] » (2014). Viveiros de Castro distingue ici le point de vue et la représentation symbolique, le point de vue étant réel, c’est-à-dire qu’il définit une façon pour le corps de s’orienter dans le monde. Il faut donc selon lui prendre au sérieux les énoncés ontologiques des sociétés amazoniennes, en les considérant comme une remise en question radicale de la logique scientifique qui oppose les réalités naturelles et les représentations symboliques, car ils montrent l’existence d’une pluralité de natures à partir d’un continuum culturel.

Tim Ingold adopte une approche comparable lorsqu’il suit des éleveurs de rennes dans les régions de l’Arctique. L’anthropologue décrit en effet des lignes tracées sur le territoire par des attachements entre rennes et éleveurs sans adopter le point de vue surplombant de l’État colonial qui subordonne ces lignes à des valeurs économiques. Il propose de[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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