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HUMAINS ET NON-HUMAINS (anthropologie)

L’apport de la sociologie des sciences

La sociologie des sciences fait de la distinction entre humains et non-humains le critère d’une nouvelle anthropologie qui accorde le statut d’acteur à tous ceux qui s’associent dans une controverse, c’est-à-dire dans une dispute sur les agencements entre humains et non-humains qui se tranche dans un laboratoire, dans un modèle et dans des publications écrites. En ne préjugeant pas des attachements qu’elle observe sur le terrain au nom d’une coupure entre science et mythe, ou entre réalité et représentation, la sociologie des sciences « repeuple » les sciences sociales, car elle fait des non-humains des acteurs à part entière (Houdart et Thiery, 2011). Ainsi Bruno Latour explique-t-il qu’il ne faut pas décrire la médecine pasteurienne comme le triomphe de la vérité scientifique sur la maladie épidémique mais comme un ensemble d’associations entre humains et non-humains (microbes, moutons, vignobles, par exemple) en France et dans l’empire colonial français. « En se servant du microbe dont on peut faire varier la virulence comme d’un véritable "embrayage", [les pasteuriens] peuvent passer d’une discipline à une autre et aller d’un seul coup des agents contagieux aux phagocytes, puis de ceux-ci aux fromages et de là aussi bien aux diastases qu’aux égouts : ils vont renouveler la médecine sans jamais prendre la maladie comme objet d’étude et renouveler la politique et l’hygiène sans jamais prendre l’homme pauvre ou déchu comme unité d’analyse. » (2001) À sa suite, Michel Callon analyse les négociations entre humains et non-humains qui se stabilisent dans les marchés économiques et financiers. Il décrit ainsi comment des pêcheurs bretons peuvent connaître les fluctuations de présence des coquilles Saint-Jacques à partir de modèles des flux maritimes conçus au Japon et ainsi fixer le prix de ces coquillages. « Négocier avec les coquilles, c’est négocier d’abord avec les courants qui, par les turbulences qu’ils produisent, s’opposent aux fixations. Mais il n’y a pas que les courants avec lesquels les chercheurs doivent compter. Des parasites en tous genres viennent perturber l’expérience et s’opposer à la capture. » (1986)

Les premiers travaux de Callon et Latour restent proches de la sémiotique narrative formulée par A.-J. Greimas, selon laquelle un actant s’inscrit à l’intérieur d’une série signifiante, ce qu’ils appellent la théorie de l’acteur-réseau. Il reste à décrire comment les non-humains affectent les humains d’une façon qui résiste à la standardisation scientifique. En suivant les transformations du champignon matsutake depuis les forêts de l’Oregon et du Yunnan vers les étals des marchés japonais, Anna Tsing décrit les différentes valeurs affectives, gustatives et économiques de ce rhizome qui pousse dans les forêts dévastées par l’exploitation industrielle qu’elle qualifie de « ruines du capitalisme ». En étudiant les pratiques de cueillette des réfugiés Hmong du Laos dans les forêts américaines de l’Oregon et les pratiques d’expertise des consommateurs japonais, elle montre comment on passe de logiques égalitaires à des logiques hiérarchiques à travers les différentes formes d’attachement et de détachement que produit le marché. Elle décrit ainsi le passage de la cueillette des champignons au marché pour l’exportation : « Fiévreuse, la cueillette échappe à la séparation entre les personnes et les choses, si chère à la production industrielle. Les champignons, là, ne se plient pas encore au cortège de marchandises aliénées ; ils sont des effets de la liberté des cueilleurs. Et malgré tout cela, cette scène ne peut exister que parce que cette expérience à double visage est poursuivie dans un étrange type de commerce. Les acheteurs, pour convertir les trophées de la liberté en biens commerciaux, orchestrent[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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