Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HUMANISME

Article modifié le

Humanisme et arts visuels

Grâce, notamment, aux travaux d'E.  Panofsky et d'A. Chastel, nous comprenons mieux les phénomènes attractifs, à la Renaissance et singulièrement en Italie, entre les humanistes néo-platoniciens de l'« académie » Careggi à Florence et de nombreux artistes de la péninsule au siècle des Médicis. Pour l'Europe du Nord-Ouest (en gros les anciens Pays-Bas), il n'existe pas d'études ou de synthèses ayant la même pertinence que celles qui sont mentionnées d'entrée de jeu. Le propos sera donc de frayer des voies pour de nouvelles recherches spécifiques par le biais d'un réexamen critique des positions théoriques et des comportements pratiques du « prince » de l'humanisme, Érasme « le Batave », confronté à l'art et aux artistes de son temps.

Thèmes érasmiens dans la peinture flamande ?

Dans un livre assez mal connu (1954), le critique et historien belge de l'art, Georges Marlier, a tenté d'établir l'influence d'Érasme sur des peintres anversois, ses contemporains, en particulier Quentin Metsys dont beaucoup de tableaux, par leur ferveur évangélique et la finesse psychologique dont ils témoignent, seraient une parfaite traduction picturale de l'érasmisme. S'inspirant des théories de Panofsky, Marlier voulait, à sa manière, « jeter bas les cloisons que la science moderne a élevées entre l' histoire de l'art et l'histoire des idées ». Malgré son indéniable culture, l'auteur a manqué en partie son essai comparatiste. Partant de ce qui est pour lui une évidence, à savoir que l'esthétique de la peinture flamande dans le premier tiers du xvie siècle reste marquée par le didactisme religieux, il fait l'hypothèse que le moralisme érasmien a pu lui fournir plus d'un thème. La démonstration porte, entre autres, sur des toiles ressortissant au tableau de mœurs et à la satire sociale. Sans méconnaître les contacts de Metsys avec les chambres de rhétorique (associations de poètes et autres littérateurs plus ou moins influencés par l'humanisme) pour expliquer le choix et le traitement des sujets, Marlier estime que le peintre de Saint Jérôme, du Couple mal assorti, du Banquier et sa femme est surtout redevable à son compatriote Érasme dont il illustrerait des sujets récurrents dans l'Éloge de la folie, les Colloques, tels les unions disparates, les pauvres exploités par les usuriers, l'universelle folie ou la sérénité d'une vie chrétienne baignée d'évangélisme. À ce niveau de généralité, il est trop facile de passer de correspondances entre des lieux communs culturels à l'attestation d'une dépendance avérée. Peut-on qualifier « d'œuvre cent pour cent érasmienne » un tableau non daté (le Couple mal assorti), « dont la leçon morale est intelligible dès le premier coup d'œil », en rapportant – sans autre argument – son sujet à la dénonciation ironique des folles amours séniles ? À ce compte, pourquoi ne pas en faire autant pour un autre tableau « qui dérive de Q. Metsys » ? La même scène s'y déroule sous l'œil narquois d'un fou nettement plus individualisé que dans la toile précédente. Ici, Marlier hésite à cause d'un détail embarrassant pour sa thèse générale de l'érasmisme pictural de Metsys et de ses émules : le fou profère un vieux dicton néerlandais inscrit à sa gauche : « Gy en siet so ower so sotter » (tant plus vieux, tant plus sot). De fait, cette légende indique la source primordiale d'inspiration des peintres flamands, c'est-à-dire le trésor de la sagesse des nations condensé dans les proverbes, mis en scène dans les farces et sotties des chambres de rhétorique. Or, note justement Marlier, « les peintres flamands ont pris une part active à la mise en scène des spectacles[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., Paris
  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

Classification

Médias

Rabelais - crédits : Spencer Arnold/ Hulton Archive/ Getty Images

Rabelais

<it>Portrait d'Érasme</it> - crédits : Photos.com/ Jupiterimages

Portrait d'Érasme

Autres références

  • ABSOLU

    • Écrit par
    • 4 224 mots
    ...monde et de son histoire, revenu de l'aliénation religieuse, est redonné à lui-même. La « mort de Dieu » signifie la naissance de l'homme. Mais l'humanisme ne s'érige en doctrine et en système exclusif qu'en souscrivant à la même conception de l'absolu, à la même prescription de rupture...
  • ACADÉMIES

    • Écrit par
    • 5 954 mots
    Avant de se trouver officialisées par une protection princière ou royale, les académies de la Renaissance ne furent à l'origine que des cercles privés ou, selon l'expression de N. Pevsner, des « regroupements informels d'humanistes ». La première à avoir été ainsi recensée fut l'Accademia platonica...
  • ACADÉMISME

    • Écrit par
    • 3 543 mots
    • 2 médias
    Une théoriehumaniste de l'art fut inventée ou exprimée pour la première fois, avec une clarté remarquable, par Leon Battista Alberti dans son traité Della pittura, écrit aux alentours de 1435. Comme aucune théorie antique de l'art, susceptible de servir de modèle, n'avait survécu, l'humaniste...
  • AGRIPPA VON NETTESHEIM HEINRICH CORNELIUS (1486-1535)

    • Écrit par
    • 552 mots

    L'humaniste Henri Corneille, en fait Heinrich Cornelius Agrippa, est né à Cologne (Colonia Agrippina, d'où son nom d'Agrippa). Son ouvrage De occulta philosophia (La Philosophie occulte, Cologne, 1531-1533), non moins souvent réédité et traduit que la palinodie qu'il en publia dès...

  • Afficher les 128 références

Voir aussi