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HUMOUR

Le concept d'humour, dont le champ d'application s'est considérablement élargi depuis son utilisation dans la littérature anglaise des xviie et xviiie siècles, n'a pas pour autant subi de multiples variations sémantiques ni cessé de se rattacher implicitement à son étymologie latine : humor (moisture). Il s'agit, en effet, plutôt d'une évolution concernant l'extension du domaine de définition du concept que de véritables coupures de sens intervenant dans des contextes différents.

L'« humeur », dans la physiologie médiévale, assimilée à des fluides tels que le sang, la lymphe ou la bile qui déterminaient des types de tempérament selon leur équilibre, s'est traduite, dans la littérature de la Renaissance anglaise, sous la forme d'excès dont il fallait corriger la part irrationnelle ou les méfaits immoraux (W. Temple, W. Congreve). L'humour désignait alors les conséquences d'une rupture de l'équilibre entre ces « humeurs » et constituait, aux xviie et xviiie siècles, un genre littéraire qui privilégiait le pittoresque, le grotesque, l'inattendu (L. Sterne, H. Fielding).

Distinct de l'intention de la satire et de la technique du mot d'esprit, il toucherait au comique dans une acception plus large, en renfermant à la fois les sentiments du sublime et du ridicule que lui offre cette peinture réaliste et forcée de la nature humaine à laquelle il s'attache. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si des états d'âme tels que l'humour et le spleen, d'apparence étrangers l'un à l'autre, donnent tous deux matière à des styles littéraires fort peu différenciés ; l'humour comme remède à la mélancolie apparaît dès le xvie siècle et cherche non seulement à caricaturer tel trait distinctif d'un personnage ou d'une situation, mais à masquer un rapport qu'il laisse volontairement en filigrane : celui de l'impuissance humaine face à un univers sinon hostile, du moins incompréhensible (Falstaff, Don Quichotte).

C'est au xixe siècle qu'on cherchera en Allemagne, et en particulier chez Jean Paul, l'élucidation de ce rapport dans lequel l'humour confronte les types humains particuliers avec leurs correspondants généraux universels. Il soulève ainsi la question de l'absurdité de l'entendement humain, pour lequel il n'est pas possible d'entrevoir une adéquation véritable entre les pensées et les actes, celle-ci se heurtant à une dérision infinie (die unendliche Ungereimtheit). L'humour s'allie à un mépris de l'univers qui cache l'« idée anéantissante » (unendliche Idee) d'une intelligence limitée et démasquée comme telle par la raison (Vernunft). Il pourrait assimiler ainsi à une sorte de « démence » (Wahnsinn) qui transformerait la mélancolie en plaisanterie par l'effet supérieur d'un « moi parodique » (parodischen Ich). Réunissant les exigences suivantes : un caractère psychologique original, la connaissance des limites humaines et un certain aspect du comique, l'humour se définit pour les romantiques de manière statique, comme une toile de fond dont les reliefs seraient inépuisables. Il en est tout autrement lorsqu'on veut bien le considérer comme un passage, une étape vers un stade ultérieur qui dépasserait la question de la problématique humaine face à une nature indéchiffrable.

C'est bien ainsi que l'entend Kierkegaard, pour qui le romantisme ne figure qu'une prise de conscience que l'humour doit amener à un niveau plus élevé : celui du religieux, où le sens ne réside plus dans la nature, mais dans la révélation. Dès lors, l'humour reste lié, après le désespoir de la relativité, à un non-engagement dans le monde, puisque le sens se trouve délibérément ailleurs ; il n'a donc rien à dire, rien à prouver[...]

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