HYLÉMORPHISME
Théorie philosophique d'Aristote selon laquelle la constitution de tout être relevant du cosmos est expliquée par deux principes corrélatifs : la matière (hylê : bois, matériau de construction) et la forme (morphê : figure, disposition). L'hylémorphisme élucide deux difficultés philosophiques : celle de la théorie platonicienne des idées séparées, seules à être objet de savoir certain et immuable, à l'opposé des choses corporelles qui, mouvantes, n'autorisent qu'illusoire opinion ; celle de la métaphysique des éléates (Parménide), selon laquelle le devenir (accès à l'être) est impossible car l'être ne résulte pas du non-être, qui, néant, ne peut être origine de rien. L'hylémorphisme fait valoir : 1o que l'intelligible se trouve dans le monde matériel — c'est la forme, principe de détermination et acte du sujet corporel ; 2o que le devenir est réalité intelligible — c'est l'accès à l'être en acte à partir de l'état de possible (en puissance), lequel a pour principe la matière, substrat de la forme en voie d'acquisition.
La matière n'est saisissable que par comparaison. « Ce que l'airain est à la statue, ou le bois au lit, telle est la matière par rapport à la réalité physique » (Phys., I, 7, 190 b 27). Largement utilisée par Aristote, l'induction manifeste ici que la structure du jugement (sujet affecté d'une privation : par exemple, « homme illettré », substrat du prédicat « savant ») guide la recherche. Il y a indication convergente avec les genres hiérarchisés (« corporel », genre pour les espèces « inerte » et « animée » ; « animé », pour « végétal » et « animal » ; « animal », pour « doté de raison » ou « dépourvu de raison ») rapprochés de la notion de matière (Métaph., D, 28, 1024 b 3-9). Mais, par-delà les voies d'inférence, c'est un principe interne à la chose physique que désigne la notion de matière. « J'appelle matière le substrat premier de chaque chose, à partir duquel elle provient et qui lui reste immanent » (Phys., I, 9, 192 a 31-32). Coprincipe, la matière n'est pas ce qui existe ni ce qui est engendré. « J'appelle matière ce qui n'est pas soi ni quelque chose de déterminé, ni d'aucune quantité, ni d'aucune des catégories qui qualifient l'être » (Métaph., Z, 3, 1029 a 20-21). Simple substrat, la matière maintient le composé en étroite continuité avec le cosmos. Elle entraîne les nécessités brutes qui l'assujettissent (Phys., II, 8 et 9).
La forme (morphê, eidos, logos), c'est, pour la statue, la figure représentée (Métaph., Z, 3, 1029 a 4), ce que la réalité sujette au devenir avait à acquérir pour être ce qu'elle est, la détermination essentielle (Phys., II, 3, 194 b 27). Principe exclusif d'actualité pour le composé, la forme est seule à en assurer l'intelligibilité, la matière n'étant compréhensible que par la forme. Tout en restant solidaire de la matière, la forme constitue à titre principal la nature (au sens de principe interne d'activité). Biologiste, Aristote réserve son attention au vivant. Chez l'être corporel animé (végétal, animal), le principe vital, animateur, c'est la forme. « Si l'œil était un être animé [autonome], la vue serait son âme » (De l'âme, II, 1, 412 b 18-19). L'âme est acte, accomplissement primordial d'un corps naturel doué, sur un mode potentiel, de la vie (ibid., 412 a 27 sqq.). L'application de l'hylémorphisme au cas de l'homme laisse un résidu important : l'intellect, qui, anorganique, ne vérifie plus le couple matière-forme.
La matière et la forme ne sont pas des substances, mais des principes de la substance corporelle. Causes du devenir[...]
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Écrit par
- Édouard-Henri WÉBER : dominicain, chargé de recherche au C.N.R.S.
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