HYPERRÉALISME
Une réalité excessive
L'art hyperréaliste réclamait l'attention du public en direction d'un monde hyperréaliste : monde de matières lavables, de Formica et d'inox, de sacs en plastique, de sachets de sucre et de papiers transparents (Schonzeit), de débits de fast-food, de banques (Estes), de vitrines, voitures et miroirs (Eddy) d'enseignes en néons (Cottingham), de carrosseries brillantes, de pierres tombales alignées comme dans un parking (Hucleux), d'animaux et de paysages au sublime peigné (Raffael). Mais à travers les gros plans du cinéma ou de la télévision, ce monde reformule aussi les notions d'intériorité, d'intimité (Close, John De Andrea), voire de sexualité.
Il n'est pas indifférent que l'acte sexuel, dans toute sa crudité, ait été l'un des sujets à la fois les plus marquants et les plus estompés de l'hyperréalisme. Gerhard Richter comme Richard Artschwager (The Fucking Paintings) se servent d'images pornographiques en noir et blanc, images non admises dans la culture de masse et soumises à la censure. Mais il ne s'agit pas seulement d'hommes peintres. Betty Tompkins (née en 1945), a également commencé ses Fuck Paintings en 1969, partant de l'imagerie sexuelle explicite que son mari avait passée en contrebande et rapportée de Thaïlande « J'adorais le processus que j'avais mis au point, explique-t-elle en 2003 : j'utilisais seulement du blanc et du noir purs, tous les gris sont des mélanges optiques provenant des points de l'aérographe. J'étais habituée à peindre en grand format et j'ai pensé que c'était la taille appropriée pour mon projet. J'aimais ce genre d'images, directes, agressives et très abstraites. J'avais vingt-quatre ans, j'étais à New York, et je découvrais que les marchands ne s'intéressaient pas aux artistes qui avaient des seins. Tant qu'à être ignorée parce que j'étais une fille, autant me sentir libre vis-à-vis du marché. Et puis je voulais que les gens regardent mes tableaux avec suffisamment d'attention et qu'ils découvrent ce que j'étais capable de faire en tant que peintre. » En 1973, Betty Tompkins est invitée à participer à une exposition-vente à Paris. Ses tableaux sont refoulés en douane. Le sort s'est également acharné contre les Fucking Paintings d'Artschwager, dont une partie brûla lors de l'incendie d'une galerie et qu'il dut recréer en 2000. Les Fuck Paintings de Betty Tompkins furent finalement montrées en France, pour la première fois, à la biennale d'art contemporain de Lyon, en 2003. Soit treize ans après que l'Américain Jeff Koons eut créé un nouvel événement « hyperréaliste » à la biennale de Venise, en 1990, avec la série Made in Heaven. Loin d'une expérience de l'art comme rupture, les scènes de copulation de l'artiste avec Ilona Staller, dite La Cicciolina, transformées en sculptures ou en tableaux monumentaux, avaient alors trouvé une consécration officielle.
Ce n'est certes pas seulement une curiosité voyeuriste qui aura suscité, au tout début du xxie siècle, un regain d'intérêt pour l'hyperréalisme, culminant avec l'importante relecture qu'aura permise l'exposition du musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg en 2003. Un regain, non un retour : car les années 1990, avec l'emprise croissante sur le marché de l'art contemporain du tableau photographique, rendu possible par la technique Cibachrome, ont miné le terrain pour une réévaluation de l'hyperréalisme en tant que genre pictural, même s'il est redevenu depuis un objet d'intérêt pour les historiens de l'art. Pourtant la sculpture hyperréaliste, contrairement aux peintures, n'avait jamais été mise au rebut dans les collections des musées d'Art moderne occidentaux : ainsi les [...]
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Écrit par
- Élisabeth LEBOVICI
: critique d'art au journal
Libération
Classification
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