HYPOTHÈSE (sciences)
Degré d'explicitation d'une hypothèse
Enfin, le degré d'explicitation d'une hypothèse est variable selon les disciplines et évolue au cours de l'expérimentation. L'exemple de l'expérience d'Œrsted est significatif à cet égard. Hans Christian Œrsted est un physicien et homme de lettres danois qui a donné son nom à une expérience bien connue, celle qui consiste à faire passer un courant électrique à proximité d'une aiguille aimantée et à constater la déviation de l'aiguille. Cette expérience a joué un rôle important dans la naissance de l'électromagnétisme. L'expérience eut lieu pendant l'hiver 1819-1820, et Œrsted en a donné plusieurs récits, dont le premier, « Considération sur l'électro-magnétisme », est publié dès 1821, les suivants en 1828 et 1830. La lecture de ces récits illustre la complexité de la notion d'hypothèse. Œrsted est incontestablement guidé par des idées, mais celles-ci changent et se précisent. Des idées philosophiques jouent un certain rôle. Elles concernent l'analogie, voire l'identité du magnétisme et de l'électricité. Lecteur de Schelling et de Goethe, Œrsted emprunte à la philosophie de la nature ce thème général. Mais ses idées sont plus précises, puisqu'il institue une expérience qui rompt radicalement avec toutes les tentatives antérieures pour établir cette analogie. Celles-ci, à l'instar de celles effectuées par Benjamin Franklin, l'inventeur du paratonnerre, consistaient toujours à faire passer le « feu électrique » à l'intérieur de l'aiguille aimantée. Il s'agissait de répéter en laboratoire l'expérience des navigateurs, dont plusieurs avaient rapporté que les boussoles devenaient « folles » lorsque la foudre frappait les navires... Ces expériences ne donnaient aucun résultat tangible. Le coup de génie d'Œrsted est de ne plus faire passer le courant dans l'aiguille aimantée, mais à petite distance de celle-ci, d'envisager une action à distance. Mais cette idée elle-même n'est jamais pleinement explicitée dans son premier récit, bien que le dispositif expérimental retenu la suppose. D'une part, Œrsted prend de mieux en mieux conscience du sens de son travail ; d'autre part, il rectifie son hypothèse en répétant son expérience, en comprenant que l'effet magnétique du passage du courant est indépendant de l'incandescence du fil et de la chaleur dégagée, comme il le pensait initialement. L'hypothèse s'explicite et se rectifie au contact des expériences qu'elle guide. Sa forme achevée n'est bien souvent qu'une reconstruction tardive.
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Écrit par
- Jean-Paul THOMAS : philosophe, professeur des Universités
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