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I DEMONI (mise en scène P. Stein)

Peter Stein a tiré des Démons, le roman de Dostoïevski, un spectacle-fleuve de près de douze heures, joué en italien et rassemblant vingt-six comédiens. Créé en mai 2009 à San Pancrazio en Ombrie, le spectacle a été représenté à Paris du 18 au 26 novembre 2010 au Théâtre national de l'Odéon (dans la salle des ateliers Berthier). Le metteur en scène se proposait d'y raconter par des moyens théâtraux la totalité du roman, ne laissant dans l'ombre aucun épisode, même ceux qui, sur une scène, auraient pu paraître secondaires. Il se démarquait ainsi des adaptations précédentes, celles d'Andrzej Wajda (1971), de Lev Dodine (1991), de Frank Castorf (1999), de Chantal Morel (2009) comme de celle d'Albert Camus (Les Possédés), qu'à l'origine on lui avait suggéré de monter. Pour atteindre cet objectif, Peter Stein a misé sur la simplicité des moyens et sur l'intensité du jeu.

Dans son roman, que Lénine avait qualifié « d'ouvrage bâclé, répugnant et profondément réactionnaire », Dostoïevski décrit la perte du socle religieux et son remplacement par des idéologies cherchant à créer un monde et un homme nouveaux, au besoin par la violence et la terreur. Les « démons » représentent chez lui les forces obscures mises en branle par l'idéologie révolutionnaire venue d'Occident. Ils s'incarnent dans des personnages soit aveuglés par l'idéologie – Stépane Verkhovenski (Elia Schilton) et les membres du petit groupe révolutionnaire de la ville où se déroule l'intrigue –, soit cyniques – Piotr Verkhovenski, son fils (Alessandro Averone), qui dévoie les idéaux de ceux qu'il a contribué à fanatiser –, soit indifférents au monde et spirituellement vides – Stavroguine (Ivan Alovisio), dandy sans scrupules, ennuyé de vivre et incapable de s'engager pleinement dans ses actes. Quant aux personnages féminins – notamment Varvara Stavroguine (Magdalena Crippa) et Lisa Drozdova (Irene Vecchio) –, ils sont à la fois témoins et victimes du drame qui éclate sous leurs yeux. Pour Peter Stein, Les Démons anticipe sur notre modernité « matérialiste, rationnelle, prête à douter de tout ». Mais il s'est moins attaché à rendre compte du contenu du livre – il dit n'avoir eu « aucune ambition interprétative » – qu'à trouver les moyens formels de sa transposition scénique.

L'espace scénique, conçu par Ferdinand Woegerbauer, laisse le champ libre aux acteurs. Au fond, un rideau noir ; de chaque côté, deux grands châssis blancs, dans lesquels sont ménagées des entrées ; une haute cloison sur roulettes, poussée à vue sur le plateau, sert à délimiter la chambre du révolutionnaire repenti Chatov (Rosario Lisma) d'un côté, avec son lit et son étagère, et celle du mort en sursis Kirilov (Fausto Russo Alesi) de l'autre, avec sa petite table et son samovar. Le plateau est presque vide, occupé seulement par quelques meubles, qui alternent selon les épisodes : un grand canapé, un piano, deux tables, quelques chaises en bois, des banquettes, un tapis. Sur le devant de la scène, un praticable offre une aire de jeu tantôt au narrateur, tantôt au gouverneur de la ville qui, assis de dos, semble être un spectateur privilégié installé entre la scène et la salle. Peter Stein a conservé les décors et les costumes des répétitions, sans doute par souci d'économie, mais aussi avec la volonté manifeste de s'en tenir au texte et à sa mise en jeu.

Du roman, Peter Stein a conservé avant tout les dialogues. Cette méthode d'adaptation, qu'Antoine Vitez en son temps avait qualifiée de naïve, fait ici ses preuves. Le spectateur suit la trame du roman sans oublier un instant qu'il est au théâtre. De même qu'il entend des acteurs parler italien sans douter un instant que les personnages qu'ils interprètent sont russes.[...]

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Écrit par

  • : professeur au département des arts du spectacle à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, traducteur, dramaturge

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