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IBN GUZMAN (1095 env.-1160)

Grand poète

Si on peut le comparer aux poètes médiévaux de la chrétienté, ce n'est donc point à ceux qui célèbrent l'amour courtois. On le rapproche plutôt, et à bon droit, d'Abū Nuwās (qui mourut en 815) et du mauvais sujet François Villon. Certes, une tradition veut qu'il se soit converti tardivement, comme Abū Nuwās, et ce, malgré un Testament digne d'un mécréant aviné. (Il se peut toutefois que le Testament remonte à la jeunesse du poète et que son vœu d'être enterré dans une vigne « au milieu des ceps » ne soit qu'une allusion littéraire.) Pour prouver la conversion, on peut arguer les circonstances de sa mort : à la fin d'un ramaḍān. Or de pieux vieillards mouraient souvent à ce moment-là, épuisés par le jeûne.

Bien qu'Ibn Guzman se qualifie de poète de style classique, de prosateur et de compositeur de zadjals en vernaculaire, seule a survécu, en fait de prose rimée, sa préface du Dīwān ; d'autre part, les quelques vers classiques de lui qui nous sont parvenus ne sauraient nous faire oublier qu'il est avant tout l'auteur de ses zadjals. Le Dīwān d'Ibn Guzman, qui ne correspond sans doute pas au grand recueil dont la tradition nous assure qu'il exista, comporte cent quarante-neuf zadjals dont certains ont une forme voisine de celle du muwashshaḥ (c'est-à-dire cinq ou six strophes). L'amour et le vin en sont les sujets les plus fréquents.

Tant s'en faut pourtant que l'œuvre entière d'Ibn Guzman soit bachique ou licencieuse. Contraint par sa pauvreté de dédier à de riches Cordouans un certain nombre de ses poèmes (27 sur 149), il lui arrive, hélas ! de s'adonner au panégyrique du dédicataire ; et, comme il y a parfois une justice en littérature, ces panégyriques nous ennuient. Mais Ibn Guzman nous amuse, nous intéresse et nous émeut quand il peint des tableaux de genre, des scènes prises sur le vif, où nous trouvons, dans l'Espagne andalouse, quelque chose qui évoque les frairies, les beuveries, les scènes de rue de la peinture hollandaise classique.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV

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