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IBN KHALDŪN (1332-1406)

En ce xive siècle (viiie de l'hégire), les rivalités dynastiques déchirent le Maghreb. La Reconquista chrétienne entreprend de mettre un terme au destin d'al-Andalus presque réduit à la gloire de Grenade. L'Orient arabe subit la terrible invasion de Tīmūr Lang et connaîtra bientôt la puissance ottomane, déjà lancée vers l'Europe. L'empire d' Islam vacille et nie dans l'impuissance le rêve de son unité. La pensée même s'y fige : Ibn Ṭufayl et Ibn Rušd sont morts depuis plus d'un siècle. Le conservatisme a tari la réflexion théologico-dogmatique, figé la controverse juridique, réduit les sciences et les lettres.

C'est en ces temps de déchirement que survient Ibn H̲aldūn (Ibn Khaldūn) et qu'il s'engage dans l'histoire, pour lui lieu d'expérience et champ d'analyse. Du diplomate à l'historien, il établit l'itinéraire d'une réflexion qui fut géniale. Au moment où la conduite du monde va échoir à d'autres mains, il fonde une science en ébauchant une anthropologie culturelle de la civilisation arabo-musulmane.

Une expérience

‘Abd al-Raḥmān b. Muḥammad b. H̲aldūn naît à Tunis dans une famille andalouse d'origine arabe, longtemps fixée à Séville, qui compte de grands bourgeois lettrés, hauts fonctionnaires ou hommes politiques au destin parfois tragique. Il approfondit ses études à Tunis où la cour mérinide draine des savants de renom. Il accède à la culture philosophique et se pose le problème des fondements et de la portée de la spéculation rationnelle. Résumant un ouvrage de méthodologie théologico-philosophique d'al-Rāzi, il comprend le besoin où se trouve l'Islam d'un nouvel effort de connaissance, mais prend aussi conscience des contingences socio-historiques qui pèsent sur l'exercice de la raison. En lui naît la réflexion sur l'adéquation des systèmes de la pensée et des structures du réel.

La grande peste ravage l'Ifrīqiya et décime sa famille. Il entame une carrière politico-administrative fertile en rebondissements et aventures. De 1350 à 1372, il sert plusieurs dynasties du Maghreb ou d'Espagne avec des fortunes diverses, et se voit confier une mission auprès de Pierre le Cruel à Séville. Il mène en même temps une vive activité d'intrigues, prises de contact et arbitrages, avec la secrète ambition de trouver l'homme et surtout la force qui lui permettraient de jouer un rôle à sa mesure. D'une existence fluctuante qu'il sait réorienter sans guère de scrupules, il retire une connaissance incomparable des mécanismes politiques qui régissent l'exercice du pouvoir.

En 1372, il se retire dans la forteresse d'Ibn Salāma en Oranie. Là, cet homme partagé entre la science et l'action, doué d'une intelligence tenue bridée dans les limites d'un monde en repli, s'abstrait et construit en quatre ans l'ouvrage qui va fonder sa gloire : la Muqaddima, prolégomènes à la volumineuse histoire universelle, le Kitāb al-‘Ibār (1375-1379).

De retour à Tunis, il dispense des cours qui suscitent l'enthousiasme des étudiants, mais l'hostilité des conservateurs. En cette période de tarissement, on accepte mal une pensée qui se veut créatrice. D'autre part, la personnalité même d'Ibn H̲aldūn déplaît. La réaction des juristes provoque son départ définitif.

Au Caire, il occupe une chaire de droit et une charge de grand qāḍī malikite qu'il perdra et retrouvera à plusieurs reprises. Pendant quatorze ans, il se consacre à ses cours, revoit son histoire universelle à laquelle il adjoint, vers 1395, un appendice : le Ta‘rīf, introduction à son œuvre, communication d'une conscience créatrice plus qu'autobiographie véritable. En 1400, il rencontre le Mongol Tīmūr Lang qui, bientôt, enlèvera Damas. C'est sur un drame qui ne[...]

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