ICHIKAWA FUSAE (1893-1981)
Touffe de cheveux blancs, regard pétillant derrière les lunettes sévères, dans son classique tailleur bleu, Ichikawa Fusae avait conservé l'allure de l'institutrice qu'elle avait été, un bref instant, à l'aube d'une carrière fort longue, puisqu'elle s'est achevée le 11 février 1981, après une existence active, mouvementée, et à bien des titres atypique de celles des femmes de son pays.
Née le 15 mai 1893 dans une famille paysanne de la région de Nagoya, elle décrit dans son autobiographie ses premières expériences : « Mon père, qui était un tyran pour ma mère, la battait souvent à coups de poing, voire avec une bûche. Mais ma mère n'élevait aucune protestation. Je pleurais et suppliais mon père de ne pas traiter ma mère de pareille façon. Ce fut le point de départ de ma longue carrière de féministe. » C'était le temps où les femmes japonaises demeuraient contraintes aux trois soumissions (sanju) : soumission au père avant le mariage, soumission à l'époux après le mariage, soumission au fils le veuvage venu. En 1887, la « loi sur la préservation de la paix » (publique) avait été promulguée, qui, par son article 5, interdisait aux femmes l'adhésion aux partis et leur présence à tout rassemblement de caractère politique, même sous la forme de conférences éducatives.
À une époque où l'enseignement féminin n'en était qu'à ses balbutiements – la première école publique pour les jeunes filles est inaugurée en 1872 –, Ichikawa Fusae entre à l'école normale de la préfecture d'Aichi dont elle est diplômée en avril 1913. Elle quitte l'enseignement en juillet 1917, car elle s'était aperçue que les institutrices percevaient des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues masculins. Commence alors une existence, errante sur le plan professionnel, obstinée dans ses objectifs. Après avoir tâté du journalisme au Nagoya shimbun, elle se rend en 1918 à Tōkyō, où elle apprend l'anglais, puis devient en septembre 1919 la secrétaire générale du bureau féminin de l'Organisation fraternelle (Yūaikai), la première centrale syndicale du Japon. Elle ne conserve que quelques mois ces responsabilités, pour fonder, en novembre 1919, l'Organisation des femmes nouvelles (Shin fujin kyōkai) au côté de la romancière Hiratsuka Raichō. De juillet 1921 à janvier 1924, elle séjourne aux États-Unis où elle étudie le mouvement féministe. À son retour dans l'archipel, elle travaille au bureau japonais de l'O.I.T., où elle restera jusqu'en 1927.
En fait, l'essentiel de son activité est consacré au droit de vote féminin et, à ce titre, Ichikawa Fusae peut être considérée comme la grande suffragette japonaise. Un premier pas fut accompli en avril 1922, lorsque l'article 5 de la « loi sur la préservation de la paix » fut aboli. Le 13 décembre 1924, ce fut la fondation de la Ligue pour le suffrage féminin (Fusen Kakutoku Domei), qui avait trois objectifs : liberté d'association pour les femmes, droit de vote féminin aux élections locales, droit de vote féminin aux élections nationales. Toutes les tentatives se brisèrent devant la résistance de la Chambre des pairs et, avec la montée du militarisme, le mouvement féministe dut rentrer dans le rang, avant d'être incorporé dans les associations « patriotiques » créées par le pouvoir. Bon gré mal gré, comme nombre d'intellectuels japonais, Ichikawa Fusae accepte de participer, ce qui lui vaut, au lendemain du conflit, d'être victime de l'épuration effectuée par les autorités américaines d'occupation. Le bilan de cette période est limité, au sens où les acquis se réduisent à l'abolition de l'article 5 et à la promulgation, le 1er janvier 1938, d'une loi assurant une couverture sociale aux veuves et aux[...]
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Écrit par
- Patrice JORLAND : agrégé de l'Université, diplômé ès sciences politiques, professeur
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