ICONOCLASME
L'iconoclasme est la réplique quasi spontanée des monothéismes à la matérialisation du sacré et à ses compromissions avec le vocabulaire visuel du polythéisme. Moïse, Ézéchias et Josias furent des iconoclastes ; de même, dans le judaïsme postérieur, ces rabbis qui, vers le ive siècle, expurgeaient les synagogues des peintures, mosaïques et reliefs. L'Islam orthodoxe maintiendra jalousement l'« aniconisme » dans ses mosquées. Le dogme de l'Incarnation confrontait le christianisme à une alternative originale. L'Église naissante ne s'aventure pas au-delà de l'iconographie narrative ou symbolique. Intégrée dans l'État au ive siècle, la reconnaissance du caractère sacré de l' image de l'empereur la familiarise avec la notion d'un portrait de culte – une icône– du Christ ou des saints. Une faille est ouverte qui sera élargie par l'analogie de la dévotion aux reliques, la vogue des images « non faites de main d'homme », la survivance ou la résurgence de comportements « païens », ou tous autres facteurs psychologiques.
Bref, au viie siècle, l'icône est entrée dans les mœurs chrétiennes de Byzance. On note des réserves, voire des gestes violents (à Chypre avec Épiphane, à Marseille avec Serenus), mais ils sont individuels et locaux. L'hostilité systématique ne se déclare qu'au viiie siècle, à Constantinople. Pour elle on forgera le nom d'iconoclasme, volontiers appliqué à toute une époque de l'empire (725-843).
L'apogée de l'iconoclasme : les Isauriens
Vers 725 l'empereur byzantin Léon III, avec quelques évêques d'Asie Mineure, amorce une propagande contre l'icône, surtout celle du Christ. Bientôt les images sont proscrites par un édit désavoué par le patriarche Germain, qui abdique, et réprouvé tant à Rome par les papes Grégoire II et Grégoire III qu'à Jérusalem par le moine Jean de Damas.
Les origines et l'application de l'édit restent énigmatiques. Deux points au moins sont bien établis : l'image de la croix nue est épargnée, et même exaltée ; d'autre part, on invoque, contre les abus, la loi de Moïse, la condamnation de l'idolâtrie par les Pères, l'idéal évangélique du culte spirituel. Au sujet des motivations les historiens demeurent divisés ; plusieurs explications ont été avancées : contagion de l'islam, sinon du judaïsme ; influence des sectes dualistes (pauliciens) ou des groupes chrétiens archaïques de cette Asie Mineure où se recrute l'armée de terre ; prise de conscience du fétichisme embusqué dans le culte de l'image ; atavisme de Léon III alliant une aversion superstitieuse pour le double de la figure humaine à une répugnance monophysite pour la représentation du Dieu incarné ; rivalité entre l'art profane et l'art ecclésiastique ; détour visant à récupérer les richesses investies dans les images et à frapper la puissance économique du monachisme. Aucune de ces hypothèses ne convainc : les unes confondent des rencontres avec des causes, les autres reposent sur une insuffisante documentation.
L'iconoclasme prend ses vraies dimensions avec le fils de Léon, Constantin V Copronyme. Aux théologiens qui en appellent à l'incarnation et à la tradition, il réplique par une contre-théologie, déduite des mêmes prémisses mais rattachée à la logique des définitions œcuméniques. Il forge un dogme, qu'il fait proclamer par une assemblée plénière de l'épiscopat « national », déclarée VIIeconcile œcuménique (Hiéreia-Blachernes, 754). Le système forme un double volet. Sous son aspect négatif, il considère l'image de fabrication humaine, dite sacrée, comme inacceptable, voire idolâtrique. L'icône frappée de l'épigraphe « Jésus-Christ » mutile le Christ ; isolant de la divinité sa nature humaine,[...]
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Écrit par
- Jean GOUILLARD : docteur ès lettres, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section)
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