IDÉALISME
« La véritable philosophie doit être idéaliste », écrit Schopenhauer. D'après Bernard Bourgeois, « l'idéalisme est essentiellement la philosophie, et toute philosophie est un idéalisme » : conséquence du postulat – idéaliste – qu'il n'y a de connaissance que d'idées. Le Dictionnaire des sciences philosophiques, sous la direction d'A. Franck (2e éd., 1875), donne à lire : « L'idéalisme occupe la place la plus large et la plus éminente dans l'histoire de la philosophie et de la raison humaine [...]. C'est aux écoles idéalistes qu'appartiennent les plus grands esprits et les plus grandes productions de l'intelligence ; ce sont aussi les doctrines idéalistes qui ont exercé l'action la plus puissante et la plus salutaire sur le monde... » Quoique cette opinion se soit accréditée, il serait plus équitable de dire que les grands idéalistes se distinguent par un tact philosophique singulier, un tour de main ingénieux, introuvable chez les réalistes, qui n'en ont pas l'emploi. Un exemple en est Berkeley. Rien de plus commun que de croire qu'être est une condition nécessaire d'être perçu (percevoir ce qui n'est pas relève quasiment de la pathologie). Renverser les termes du rapport, c'est le coup de génie. On connaît d'autres exemples : celui de Hegel, qui, constatant que la loi de l'abstrait est l'exclusion des contradictoires, en infère que le concret est le contradictoire ; l'analyse par Hume de la causalité, toute fausse qu'elle est. Le dessin en est simple. Si la causalité est objective, il faut admettre soit une causalité formelle réductible à l'identité, soit une causalité transitive où l'effet diffère de la cause. La première est analytique et intelligible, mais dépourvue de sens physique, la seconde est physiquement significative, mais inintelligible. On adoptera donc une notion subjective de causalité dérivée de l'habitude des successions temporelles similaires. Cela rappelé, l'idéalisme a surtout une valeur critique et négative. De nos jours, la déconstruction, l'anarchisme épistémologique, le discours de l'anti-méthode, etc., sont des manifestations d'hyperidéalisme. « Toutes les époques en recul, qui s'acheminent vers la décomposition, marquent des tendances subjectives, tandis que toutes les époques de progrès affirment des tendances objectives. Notre époque tout entière est une époque rétrograde, car elle est subjective » (Johann Wolfgang Goethe, Conversations avec Eckermann, janvier 1826).
Les éléments de la représentation : le sujet et l'objet
Croire à la réalité de ce que nous révèlent les sens est la réaction primitive et naturelle. Les premiers philosophes grecs considéraient comme un principe du monde un élément intuitif (l'eau, l'air, le feu) élevé au rang d'abstraction. (Hegel remarquait que l'eau de Thalès n'est pas l'eau empirique : c'est une idée, non pas une chose qu'on trouve dans la nature – en fait, c'est un état ou une phase de la matière.) Plus tard, on découvre la différence entre le perçu et le pensé ; de là l'attention dérive sur les prétendues erreurs des sens ; certains embrassent la conclusion que le raisonnement sur des idées ou des concepts est plus sûr que les données de l'intuition. Distinguer entre le phénomène (ce qui s'atteint par les sens) et le noumène (objet de la connaissance intellectuelle ou rationnelle) est un premier pas vers l'idéalisme. Mais celui-ci ne se constitue que quand on définit le monde ou l'univers comme la représentation d'une conscience ou d'un sujet pensant.
L'idéalisme est étranger à l'Antiquité grecque et au Moyen Âge occidental. Les métaphysiques et les religions orientales portent l'empreinte de l'idéalisme.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean LARGEAULT : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil
Classification
Autres références
-
BERKELEY GEORGE (1685-1753)
- Écrit par Geneviève BRYKMAN
- 2 919 mots
- 1 média
Soucieux d'enrayer la marée montante du scepticisme induite par le progrès des sciences positives, Berkeley fut essentiellement un apologiste. Mais il fut aussi un authentique philosophe, dont l'ambition paradoxale était de définir, d'une façon à la fois nouvelle et traditionnelle, les rapports...
-
BOSANQUET BERNARD (1848-1923)
- Écrit par Françoise ARMENGAUD
- 895 mots
Philosophe anglais, qui fut professeur à Saint Andrews. Bosanquet est un représentant original, avec Bradley et Royce, de l'idéalisme néo-hégélien. Il était le combattant d'une cause perdue en ce qu'il se voulait le défenseur de l'idéalisme ancien (absolu) contre les « hérésies » de l'idéalisme...
-
BRUNSCHVICG LÉON (1869-1944)
- Écrit par Françoise ARMENGAUD
- 948 mots
Philosophe français, né à Paris, Léon Brunschvicg entre, en 1880, à l'École normale supérieure et suit à la Sorbonne les cours de Victor Brochard et d'Émile Boutroux. Sa thèse de doctorat a pour sujet et pour titre La Modalité du jugement(1892). Il fonde, en 1893, la Revue de...
-
CAUSALITÉ
- Écrit par Raymond BOUDON , Marie GAUTIER et Bertrand SAINT-SERNIN
- 12 987 mots
- 3 médias
On doit donc choisir entre deux positions métaphysiques : l'idéalisme, qui part des représentations, et limite ses ambitions, du moins en sciences, à « sauver les phénomènes » ; le réalisme, qui pense que, même si « le réel est voilé », on peut soulever certains coins du voile, et avoir accès à ce... - Afficher les 40 références