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IDÉALISME ALLEMAND

Kant et « la chose en soi »

On se réfère en général à G. W. Leibniz comme au philosophe qui, même s'il n'a peut-être pas créé le mot idéalisme, l'a du moins introduit dans le vocabulaire philosophique.

De manière significative, il ne le glisse dans sa Réplique aux réflexions de Bayle qu'en liaison avec le mot matérialisme, pour évoquer « les hypothèses d'Épicure et de Platon, des plus grands matérialistes et des plus grands idéalistes... », établissant ainsi l'une des lignes de partage les plus durables de l'histoire de la philosophie. Ni Épicure ni Platon ne se sont tenus eux-mêmes pour idéaliste ou matérialiste, alors que ces catégories et ces mots n'existaient pas. Leur désignation comme tels est rétrospective. Leibniz lui-même ne se rangeait nullement dans le groupe qu'il qualifiait d'« idéaliste ». Mais ses successeurs le traiteront comme lui-même l'avait fait de Platon, Hegel déclarant tout simplement : « La philosophie de Leibniz est un idéalisme. » Cependant le mot aura subi, entre-temps, une inflexion de sens.

Le terme a désigné d'abord, et surtout sous la plume de ses critiques, ce que l'on ne tiendra ensuite que pour une variété particulière : « l'idéalisme subjectif », en songeant principalement au premier élan de la philosophie de George Berkeley (1685-1753), que lui-même qualifiait d'« immatérialisme ». C'est cet idéalisme que Diderot critique en 1749 : « On appelle idéalistes ces philosophes qui n'ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent au-dedans d'eux-mêmes n'admettent pas autre chose. Système extravagant [...], système qui, à la honte du genre humain, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous » (Lettre sur les aveugles). À son tour, Kant, le véritable initiateur de l'idéalisme classique allemand, manifestera devant cette forme subjective la même indignation presque désespérée : « L'idéalisme peut bien être tenu à l'égard des fins de la métaphysique pour aussi inoffensif que l'on veut (ce qu'il n'est pas en fait), cela reste pourtant un scandale de la philosophie et de la raison humaine en général de devoir admettre seulement à titre de croyance l'existence des choses hors de nous (dont pourtant nous recevons toute la matière pour nos connaissances, même pour notre sens interne), et, si quelqu'un se met à en douter, de ne pouvoir lui opposer aucune preuve satisfaisante. » Car là est, en effet, tout le problème : les choses existent-elles hors de nous, ou en nous (en notre esprit) ?

Pour se démarquer de cet idéalisme « scandaleux », Kant maintient l'existence de la « chose en soi », – c'est-à-dire d'une réalité qui persiste en elle-même et pour elle-même, hors de la conscience humaine et indépendamment d'elle, même si elle reste pour nous inconnaissable en tant que telle. C'est là une mince concession au matérialisme, qui arrête Kant au seuil de l'idéalisme allemand. Dans son cours de 1823, Hegel remarquera sévèrement : « La question : que sont l'espace et le temps en soi ne signifie pas pour lui : qu'est-ce que leur concept ? Mais : sont-ils des choses au-dehors ou quelque chose dans l'esprit ? » (Leçons sur l'histoire de la philosophie).

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