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IDÉALISME ALLEMAND

Une pensée absolue

Ce sera l'un des grands défis de l'idéalisme allemand : contrecarrer le matérialisme, sous toutes ses formes, sans tomber dans un subjectivisme choquant. Dans cette perspective, la « chose en soi », telle que Kant continue de la penser, représente un dangereux compromis, difficilement soutenable. On la reniera donc.

Le grand mérite commun des idéalistes allemands est sans doute de n'avoir reculé devant aucune des conséquences de leurs prémisses audacieuses, et même les plus stupéfiantes pour le public, quand celui-ci parvenait à les saisir. Dans cette entreprise, ils ont fait preuve d'une ingéniosité et d'une souplesse d'esprit extraordinaires, et se sont affrontés dans une émulation fiévreuse, qui a pu aller jusqu'à l'hostilité ouverte. Dans une sorte de surenchère anti-matérialiste, ils se sont élevés à un idéalisme de plus en plus exigeant et conquérant. Kant avait donné le ton dans son opération défensive : « Par la critique seulement peuvent être coupés à la racine même le matérialisme, le fatalisme, l'athéisme, l'incrédulité des esprits forts, l'exaltation, la superstition, qui peuvent être universellement nuisibles, enfin aussi l'idéalisme [compris comme subjectiviste] et le scepticisme, qui sont dangereux davantage pour les écoles, et peuvent difficilement passer dans le public... » (Préface de la deuxième édition de la « Critique de la raison pure », 1787).

Il y a dans ces propos un peu de démagogie proclamative, et ces auteurs se permettront parfois de notables écarts. Mais, dans l'ensemble, et du point de vue de cette problématique, ils se présentent bien eux-mêmes comme un camp philosophique opposé à un autre, auquel ils ne fourniront parfois des armes que bien involontairement.

De fait, on doit distinguer en chacun d'eux des niveaux divers d'idéalisme. En premier lieu, le plus connu, celui qu'ils atteignent consciemment, conceptuellement, rationnellement. Et puis, plus profondément, l'idéalisme spontané, inconscient d'abord, dont ils sont partis, souvent sans s'en rendre compte. Leur véritable idéalisme ne se situe pas où ils le croient. Ils n'ont pas eu à se forcer – et à argumenter – pour devenir idéalistes. Ils l'étaient d'emblée, comme la plupart de leurs contemporains qui n'auraient pu, sans cela, accueillir le développement de leurs idées. Hegel a lui-même évoqué un « idéalisme inconscient de la conscience » (La Science de la logique, 1812). Et d'ailleurs, sa Phénoménologie de l'esprit (1807) n'est-elle pas le récit de la prise de conscience progressive de l'idéalisme par lui-même ? Il y a une tendance spontanée, chez certains hommes ou certaines époques, à tout « ramener » à la pensée. Cette tendance s'affermit, triomphe des tendances différentes ou contraires, se radicalise, conduit à « l'affirmation de l'être comme connu », à la consciente et volontaire « inclusion de l'objet connu dans l'esprit connaissant » (A. Lalande, op. cit.), et donc à une dépréciation ou même à une négation de toute réalité véritable en dehors du sujet : « L'idéalité du fini est la proposition capitale de la philosophie qui, pour cette raison, est un idéalisme » (Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, 1817). D'où il suit que « le monde n'a pas de véritable réalité » (Philosophie de la religion, posth., 1832).

L'idéalisme allemand a tendu à intégrer toutes les formes de pensée qui, dans le passé, exprimaient déjà son orientation essentielle, comme si – et c'est la manière dont Hegel présente les choses dans ses Leçons sur l'histoire de la philosophie – toutes les étapes de ce passé conduisaient à ce « résultat », qui, en retour, imprime sur elles son sceau.[...]

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