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IDÉALISME

L'idéalisme et la philosophie de la physique

On rencontre fréquemment deux opinions : que le réalisme est naturel aux sciences ; que la philosophie est nécessairement idéaliste. La première de ces affirmations a pu être vraie pour certaines théories. Émile Meyerson a soutenu qu'elle est vraie et que les thèses positivistes-idéalistes vont à contre-fil de la pratique des savants. Par exemple, Comte interdit de formuler des hypothèses sur « le mode de production des phénomènes », c'est-à-dire sur les substances et les causes ; les sciences doivent répudier toute ontologie et s'en tenir aux lois, relations quantitatives constantes. Meyerson (De l'explication dans les sciences, 1927) montre que ces consignes n'ont jamais été écoutées. Les scientifiques cherchent à expliquer les lois. Il n'est pas vrai non plus qu'ils écartent tout engagement ontologique ; et, s'ils éliminent une partie de l'ontologie du « sens commun » ou du « réalisme naïf », c'est parce que ses entités ne sont pas assez réelles, trop « subjectives » ou trop dépendantes de la sensation. D'ailleurs, Comte avait assez d'expérience du métier pour reconnaître, dans les « grossières mais judicieuses indications du bon sens vulgaire », le « véritable point de départ éternel de toute sage spéculation scientifique ». Enfin, la science complète le réel qu'elle admet par un virtuel soit emprunté à l'imaginaire mathématique, soit constitué par des objets ou des actions hypothétiques, supposées rendre compte de ce qui est observé (atomes, particules d'échange, principes de stationnarité, etc.).

La philosophie exerce-t-elle une influence sur les scientifiques ? Ceux-ci sont eux-mêmes très discrets là-dessus. Ils ont souvent un philosophe préféré, les biographies nous l'apprennent. Mach se réfère à Hume ; Josiah Willard Gibbs, qui propose une conception subjectiviste de l'entropie, a des penchants idéalistes ; Albert Einstein admire Spinoza, Niels Bohr se réfère à Kant, Schrödinger et Luitzen E. J. Brouwer aux métaphysiques orientales... On a dit que les savants écrivent leurs préfaces à la lumière de ce qu'ils croient qu'ils pensent et qui n'est pas forcément conforme à ce qu'ils font. Appliquée à ceux dont on vient de citer les noms, la remarque est erronée : leurs théories scientifiques, celles auxquelles ils ont travaillé, sont en harmonie avec leurs choix métaphysiques. La seule grande théorie physique marquée au coin de l'idéalisme est la mécanique quantique dans son évolution depuis les années 1925. Il est remarquable que les physiciens réalistes, Albert Einstein et Louis de Broglie, se sont tenus à l'écart de son développement, après avoir participé à sa création. L'impression que la physique est devenue idéaliste a été renforcée par la philosophie des sciences, imprégnée d'idéalisme à de rares exceptions près. S'effectue d'ailleurs une sorte de chassé-croisé : les philosophes s'imaginent que la science est idéaliste ; les scientifiques, lisant les philosophes, dont la technicité parfois les abuse, emboîtent le pas. Comment s'est établie la réputation inductiviste de la physique newtonienne ? Qui a mis en circulation l'opinion que la science ne saurait pénétrer jusqu'à l'essence des phénomènes, mais seulement donner les rapports des représentations ? Il se peut que les philosophes, par crainte d'être taxés d'aristotélisme, se soient hâtés de donner des gages au positivisme.

En tout cas, l'idéalisme en science n'est pas une tendance nouvelle. Dans l'Antiquité grecque, il apparaît sous forme d'instrumentalisme. Pierre Duhem en a retracé l'histoire (Sôzein ta phainomena. Essai sur la notion de théorie physique de [...]

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  • : professeur à l'université Paris-XII-Val-de-Marne, Créteil

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