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DÉNOMBREMENT IDÉE DE

Le mot «   dénombrement » est le nom donné à une certaine opération qui, comme toute opération, présuppose les deux termes d'une distinction : l'action elle-même de dénombrer et la réalité sur laquelle elle s'exerce. Il y a le dénombrant d'une part, le dénombré d'autre part. Distinction qu'il convient de situer à deux niveaux, celui de l'expérience la plus concrète et celui de la théorie pure, étant bien entendu que, comme pour la plupart des notions mathématiques, c'est par le passage d'un niveau à l'autre que l'on enrichit la science et rationalise l'action.

Le dénombrement du point de vue empirique

Rien n'est, en pareil cas, plus suggestif que la lecture de quelques dictionnaires ou lexiques français-anglais, français-allemand, français-italien, etc., et d'y regarder par quels mots est traduit le mot français « dénombrement » ; sans qu'il soit nécessaire d'aller jusqu'à l'étude exhaustive et systématique que devrait faire un linguiste, on voit pourtant apparaître le noyau sémantique de la notion et le nuage de concepts voisins qu'elle appelle. Un examen analogue est à faire aussi sur les lexiques, dictionnaires ou encyclopédies, en langue française exclusivement, mais édités à des époques diverses.

L'action de dénombrer apparaît surtout comme très voisine de celle de compter ; les objets comptés étant des personnes ou des objets matériels, notamment des « biens », au sens économique du terme. « Voici le dénombrement des fils de Sem, Cham et Japhet, enfants de Noé », évoque Littré citant la Genèse. Quant aux choses, le mot dénombrement, d'un emploi courant pour les situations d'héritage, a pu devenir un terme de « fief » ; on comprend bien pourquoi, le vassal devant faire une déclaration écrite de tous les droits qu'il tenait de son seigneur. Les mots cens, census, recensement sont, avec leur connotation militaire ou électorale, de très proches voisins sémantiques de dénombrement. De dénombrer et compter, on passe facilement à calculer. Si les Anglo-Saxons mettent surtout l'accent sur « comptage » et « census », les Italiens vont davantage sur les termes évoquant la compilation ; curieusement, l'idée du « dépouillement des données » glisse vers un sens moins noble, celui du dépouillement lors d'un pillage, d'un vol. La langue allemande enfin, qui traduit le plus souvent le mot français « dépouillement » par Aufzählung, exprime une idée proche parente avec Erhebung, c'est-à-dire « enquête », « recherche », « investigation » et aussi « levée » (au sens militaire de « levée de contingents de conscrits »), et surtout avec Erfassung qui, toujours dans le langage de l'administration militaire, signifie « enregistrement » ou « recensement ».

Compter, recenser, compiler, enregistrer, telles sont les opérations concrètes les plus fréquemment évoquées qui, toujours sur le plan concret, préparent ou même constituent l'opération de dénombrement. Si l'on passe de l'opération à l'objet sur lequel on opère, la plus grande diversité apparaît aux théoriciens comme aux praticiens : des offres, des biens immobiliers que l'on recense, des pièces de monnaie que l'avare compte avec soin et passion, des moutons que compte le berger, etc. Même des objets purement abstraits peuvent être dénombrés, comme en témoigne le célèbre texte de Descartes : « ... faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre ». À cet égard, il est intéressant de noter également que le mot allemand fassen (nous parlions tout à l'heure de l'Erfassung) a les significations concrètes de « saisir », « empoigner », « prendre », mais aussi les significations abstraites[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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