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IDÉOLOGIE

Idéologie et vérité

Reste la question importante des rapports entre idéologie et vérité (H. Lefebvre et F. Châtelet, Idéologie et Vérité). Son étude complète demanderait un article spécial, mais le présent travail serait incomplet s'il n'en posait au moins les jalons.

La distinction entre l'origine sociologique des connaissances et la détermination sociopolitique de la conscience permet de résoudre élégamment une difficulté sur laquelle ont achoppé des auteurs aussi pertinents que R. Aron (Recherches philosophiques), dans un travail de jeunesse, qui eut toutefois le mérite de poser le premier en France le problème sociologique de l'idéologie. En effet la constatation de l'origine sociologique d'une théorie n'implique aucun soupçon de validité limitée ou « perspectiviste ». Ainsi, le fait d'admettre avec Durkheim l'origine religieuse du concept d'énergie n'enlève rien à la valeur scientifique de la notion d'énergie atomique. En fin de compte, la sociologie de la connaissance a relativement peu d'incidences sur l' épistémologie ou la gnoséologie. Seule l'idéologisation des théories scientifiques pose des problèmes quant à leur coefficient de crédibilité. Notre problème s'en trouve largement simplifié.

Cette idéologisation n'est pas elle-même synonyme de crédibilité douteuse. Nous faisons sur ce point entièrement nôtres les conclusions lucides de M. Rodinson. Des théories scientifiques valables peuvent s'intégrer dans des ensembles idéologiques. Le raisonnement entendu parfois : « Telle théorie doit être fausse parce qu'elle fait partie de tel contexte idéologique », constitue une intrusion injustifiée de l'idéologie dans le domaine de la science.

Une approche idéologique peut jouer un rôle positif en préparant le terrain pour une approche scientifique. La passion idéologique suscite un intérêt qui persiste parfois après l'apaisement des passions et peut déclencher des études de valeur scientifique.

Le concept d'erreur ne possède pas dans les sciences humaines la même profondeur qu'en sciences naturelles, cela précisément en raison de l'importance de la notion de perspective. Or les contextes politiques autoritaires ont tendance à utiliser le terme d'« erreur » dans son acception scientifique, ce qui renvoie à leur conception réifiée du fait social (T. Adorno et coll.). L'idéologisation opère souvent à la faveur d'une sélection dirigée entre des conceptions théoriques de valeur comparable : ce « choix idéologique » ne saurait garantir la validité des théories sélectionnées, mais elles ne garantit pas non plus leur caractère erroné.

L'importance parallèle de l' identification en épistémologie (É. Meyerson) et dans les mécanismes de l'idéologisation pose des problèmes particuliers. Quelles sont les limites qui séparent la « bonne » identification de la « mauvaise » ? Renvoyant le lecteur à un autre travail (J. Gabel, La Fausse Conscience), on se bornera à remarquer que l'identification scientifique vise à simplifier des réalités compliquées, afin de les mettre à la portée de la science ; l'identification idéologique « sur-simplifie » des réalités parfois simples, afin de gagner, en échange du confort intellectuel ainsi offert, l'adhésion des foules. De plus, le mécanisme décrit par Émile Meyerson vise à faire connaître quelque chose en l'assimilant à quelque chose de déjà connu ; l'identification idéologique tend à faire détester quelque chose en l'assimilant à quelque chose de déjà détesté (Tito = Franco). Mais les limites sont loin d'être précises, et il peut y avoir des formes de transition et des cas mixtes.

Le véritable juge de la légitimité d'une identification est en fin de compte le bon[...]

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  • : docteur en médecine, docteur ès lettres, professeur émérite de sociologie à l'université d'Amiens

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