IENISSEÏ
L'Ienisseï, qui draine toute la Sibérie centrale vers l'océan glacial Arctique, est le premier fleuve de la zone tempérée avec le Mississippi. Coulant à peu près le long du méridien de 900 est, l'Ienisseï sépare la Sibérie occidentale, celle des plaines marécageuses gorgées d'hydrocarbures, de la Sibérie orientale, celle des plateaux vides aux terribles froids hivernaux. De l'Angara à Norilsk, l'Ienisseï forme la limite de l'avancée vers l'est du front pionnier urbain et industriel. Équipé d'une succession de barrages parmi les plus puissants de la planète, le fleuve constitue une pièce maîtresse de la mise en valeur économique de la Russie d'Asie.
Le plus gros fleuve de Russie
Dans une région où aucune population autochtone n'avait la vue d'ensemble d'un si grand réseau fluvial, les Russes ont repris les appellations locales, si bien que le nom de l'Ienisseï et son tracé physique ne correspondent pas. Il faut ainsi distinguer, d'une part, la longueur du cours d'eau qui porte le nom d'Ienisseï, d'autre part, la longueur du plus long cours d'eau de ce réseau hydrographique. Au sens strict, l'Ienisseï fait 3 487 kilomètres, du confluent entre Petit et Grand Ienisseï à l'embouchure, mais 4 092 kilomètres depuis la source du Grand Ienisseï et 4 102 kilomètres depuis celle du Petit. Pourtant, la véritable longueur hydrographique de la plus grande branche, de la source de la Selenga à l'embouchure de l'Ienisseï via l'Angara, est de 5 539 kilomètres. C'est donc la plus petite des deux branches en amont qui a donné son nom à la totalité du fleuve. Il s'agit du deuxième fleuve le plus long de Russie, après l'Ob (par sa branche de l'Irtych). Cet ensemble draine un bassin de 2 580 000 kilomètres carrés, le deuxième de Russie et le sixième du monde.
C'est par son débit que l'Ienisseï surpasse tous les autres fleuves du pays. Son module brut (débit moyen annuel) est de 18 100 mètres cubes par seconde à Igarka, mais cette station limnimétrique de référence se trouve en amont de la Khantaïka (477 m3/s à elle seule) et de plusieurs autres affluents, si bien que c'est le chiffre de 19 800 mètres cubes par seconde qui est donné par les documents russes à l'embouchure. Ce module est le cinquième du monde et le premier de Russie. Cette moyenne annuelle est pourtant peu représentative, car l'Ienisseï connaît un grand écart entre les basses et hautes eaux saisonnières.
L'Ienisseï possède un régime « nival de plaine pur » selon la classification française, « d'alimentation principalement nivale » selon la typologie russe. Il s'agit d'un régime monomodal, à minimum d'avril, commandé par la rétention nivale, et à maximum de juin, dû à la fonte des neiges. Régulier d'une année à l'autre, ce comportement est en revanche excessif d'une saison à l'autre. Le débit de juin est vingt fois supérieur à celui d'avril. La moyenne mensuelle de plus de 85 000 mètres cubes par seconde à l'embouchure fait de l'Ienisseï le deuxième fleuve de la planète en juin. De même, ses crues, atteignant 142 000 mètres cubes par seconde à Igarka, correspondent à des débits inégalés dans le monde, en dehors de ceux de l'Amazone. Les conséquences de cette immodération sont accentuées par le fait que le fleuve coule du sud au nord. Ainsi, à l'automne, l'aval est déjà gelé quand l'amont ne l'est pas encore. C'est l'embâcle. Ce bouchon de glace provoque de graves inondations, pourtant dépassées par celles du printemps. En mai, l'amont est déjà libéré des glaces, l'aval non, et la fonte des neiges fournit à cette débâcle une énorme quantité d'eau. À Doudinka, le fleuve monte en moyenne de[...]
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Écrit par
- Laurent TOUCHART : professeur de géographie à l'université d'Orléans, président du C.S.T. du pôle-relais zones humides intérieures
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