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KRASICKI IGNACY (1735-1801)

Un maître en ironie

La création originale de Krasicki se place principalement dans les années 1775-1780 et se rattache aux courants d'idées et au programme littéraire des écrivains groupés autour du roi. Il débuta par un poème héroï-comique, La Souriade (Myszeis, 1775), piquante illustration d'un genre naguère manié avec succès par Boileau et Pope. Krasicki y associe le thème traditionnel de la guerre animale avec des données de la chronique polonaise (le roi légendaire Popiel dévoré par les souris) traitée selon l'humeur sceptique des hommes des Lumières. Il s'agit cependant moins d'une œuvre satirique que d'une facétie parodique. Maître en ce domaine, le poète transpose sur le mode burlesque non seulement des motifs tirés d'Homère ou de l'Arioste, mais encore les thèmes sentimentaux du xviiie siècle, sans négliger les conditions de la cour, les débats et discours de la noblesse avec leur style baroque.

La Monachomachie (Monachomachia czyli Wojna Mnichów, 1778), autre poème héroï-comique, est une vive satire des ordres mendiants en Pologne et de leur piètre niveau intellectuel et moral. Krasicki s'y révèle un virtuose de la parodie et de l'ironie. Inspirée de Boileau (Le Lutrin) et de Gresset (Vert-Vert), l'œuvre n'en est pas moins originale et donne des couvents polonais un tableau impitoyable, nourri par une observation pénétrante des mœurs et exécuté avec un art remarquable. Une telle attaque, venue d'un prélat, souleva des protestations et des critiques indignées. Krasicki y répondit par l'AntyMonachomachia (1780) où l'ironie de la rétractation aiguise encore les pointes de la condamnation satirique.

Le petit volume des Fables et Apologues (Bajki i przypowieści), paru en 1779 et augmenté par la suite de fables nouvelles, fit de Krasicki le plus grand fabuliste polonais. Reprenant les motifs d'Ésope et de La Fontaine, y ajoutant des thèmes orientaux, il a créé un type de fable qui lui est propre. Ici, nulle parodie, mais au contraire, une ironie rehaussée par la rigueur de la narration réduite à l'essentiel, dépouillée parfois jusqu'à la sécheresse. Évitant l'expression directe de la moralité, Krasicki laisse au lecteur le soin de la tirer lui-même. Jaugeant le train du monde et le comportement des hommes selon le bon sens et la mesure, il nous en propose une image cruelle et peu flatteuse. L'auteur sait pourtant dominer son amertume et, par l'ironie, la tenir à distance, non sans s'élever parfois au ton de la méditation. L'élément sentimental, discret et retenu, mais présent, donne sa valeur poétique à un recueil avant tout didactique.

Les Satyry, publiées la même année, attestent une observation pénétrante et juste des mœurs polonaises raillées d'une façon d'autant plus cinglante qu'ici encore l'auteur sait taire les sentiments qui l'excitent et, refusant les accents de la colère ou de l'indignation, présenter avec un détachement olympien les travers et les vices d'une société corrompue.

L'œuvre en vers de Krasicki est d'un très grand artiste ; celle en prose est surtout d'un moraliste qui, dans ses Considérations (Uwagi, 1798-1799), quelques comédies – d'ailleurs médiocres – et deux romans, s'exprime de façon immédiate et directe, exposant les principes qui doivent, selon lui, conduire l'existence. Les Aventures de Nicolas l'Expérience (Mikołaja Doświadczyńskiego przypadki, 1776) proposent les étapes d'une conquête de la sagesse, L'Écuyer tranchant (Pan Podstoli, 1778, 1784, 1803) le type idéal du gentilhomme. Recouverts par l'intention didactique, les éléments de fiction romanesque sont très réduits : dans la première œuvre, ils se résument à une suite d'épisodes plus ou moins extraordinaires reliés par le fil d'une biographie[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres de l'université de Cracovie, maître de conférences associé à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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