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STRAVINSKI IGOR FEODOROVITCH (1882-1971)

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<em>Igor Stravinski</em>, J.-É. Blanche - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Igor Stravinski, J.-É. Blanche

Il est difficile de découvrir un musicien qui eut, de son vivant, une gloire égale à celle de Stravinski. Il fut certainement le compositeur le plus célèbre de la première moitié du xxe siècle ; et dire qu'il fut célèbre signifie que sa réputation s'est étendue bien au-delà des milieux musicaux, ou des milieux dits éclairés, pour se répandre dans le grand public et chez les profanes. Lors de ses obsèques, à Venise, une foule énorme, venue du monde entier, se pressait pour lui rendre un hommage tel qu'aucun créateur, sans doute, n'en a jamais eu. On peut rechercher les raisons d'un destin aussi exceptionnel. Quel qu'eût été le succès prodigieux qui suivit le scandale non moins prodigieux du Sacre du Printemps (dont la création eut lieu en 1913, à Paris), et même si, pour presque tous, Stravinski est essentiellement l'auteur du Sacre, il n'est pas possible de faire graviter une vie entière autour d'une seule œuvre, aussi étincelante soit-elle. Sans doute pourrait-on suggérer que Stravinski fut, de tous les compositeurs, celui qui eut, sur son art, les idées les moins traditionnelles, en ce sens qu'il est celui qui, tandis qu'il plaçait à un niveau très élevé la technique de son métier, eut à cœur de s'éloigner le plus radicalement possible des préjugés romantiques sur l'expression et l'« inspiration ». À ce titre, il fut aussi théoricien, et certaines de ses phrases lapidaires, telles qu'on les trouve dans ses divers écrits, peuvent suffire à changer notre conception du monde sonore. En outre, davantage compositeur de ballets et d'opéras que de musique pure (malgré d'étonnantes réussites comme l'Octuor, pour instruments à vent, ou les Mouvements, pour piano et orchestre), il reste étroitement lié à un mouvement culturel et intellectuel dans lequel on trouve aussi bien des décorateurs et des peintres que des philosophes et des écrivains. En fait, il gardera sa vie durant une prédilection pour l'atmosphère un peu enfiévrée d'une création presque collective comme celle qu'il avait découverte avec les Ballets russes, voire pour une certaine agitation mondaine et même pour la vénération que le monde lui accorde. Mais ce serait trop vite conclure que de ne voir en Stravinski un musicien illustre que par ce qui, paradoxalement, reste un peu extérieur à son art, par ce qu'il appelle lui-même les « franges de la musique ». S'il refuse les préjugés romantiques, il accorde la plus grande importance à la perfection de la technique musicale, et la maîtrise a, chez lui, le même sens que celui qu'on lui accordait autrefois, lorsqu'un artisan passait, grâce à son chef-d'œuvre, du rang de compagnon à celui de maître. Stravinski a donc toujours voulu être capable d'appliquer cette maîtrise qui lui est personnelle à toutes sortes de formes de la musique, transformant apparemment son style et pouvant, à ce titre, passer pour un musicien protéiforme. En réalité, sa personnalité pourrait être comparée à celle de Picasso (avec qui, d'ailleurs, il lui est arrivé de collaborer). Chez de tels artistes, une feinte variété, voire une apparente versatilité dissimulent une remarquable continuité. Alors qu'elles sont très dissemblables les unes des autres, les œuvres de Stravinski sont toujours reconnaissables, portent l'empreinte d'un tempérament inimitable. Tellement inimitable, d'ailleurs, que Stravinski n'eut aucun épigone dont le nom mérite d'être retenu. C'est ainsi que, considéré longtemps comme le chef de file d'un mouvement esthétique opposé au romantisme, il ne fut jamais un chef d'école. Stravinski est mort sans descendance musicale, ou presque.

Musicien cosmopolite ou citoyen du monde

Stravinski et Diaghilev - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stravinski et Diaghilev

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Que Stravinski soit un musicien profondément russe, voilà qui ne peut être mis en doute. Et pourtant, il existe chez lui une tendance inavouée à l'universalisme qui transparaît dans certaines de ses œuvres, notamment celles de la période dite néo-classique et quelques-unes de la dernière partie de sa vie. Parallèlement, ses multiples pérégrinations et ses nationalités successives (il fut tour à tour porteur des passeports russe, français, puis américain) ne peuvent s'expliquer seulement par les circonstances fortuites et par les dures nécessités provoquées par deux guerres. Dans des circonstances semblables, on voit, par exemple, Prokofiev revenir s'installer dans sa Russie natale ; mais Stravinski veut être le citoyen du monde où sa musique est appréciée, et il donne donc l'impression de se déplacer en même temps que ses maxima de célébrité. Cette carrière itinérante commence avec les Ballets russes et à cause d'eux. C'est en effet Diaghilev qui, après avoir entendu le Scherzo fantastique et Feu d'artifice, et après avoir d'abord commandé à Stravinski une orchestration de Chopin (Les Sylphides), lui demande la partition de L'Oiseau de feu et le fait venir à Paris en 1910. Dès lors, et jusqu'à ce qu'il se fixe aux États-Unis, en 1939, l'histoire des déplacements du musicien fournirait, à elle seule, matière à tout un chapitre.

Igor était le troisième de quatre enfants. Son père, Feodor Ignatievitch, était chanteur à l'Opéra impérial de Saint-Pétersbourg. Remarquablement cultivé, il possédait une bibliothèque de près de vingt mille volumes consacrés essentiellement à la littérature russe et aux recherches sur les chants et les légendes populaires. C'est là que le compositeur devait puiser un grand nombre d'idées, notamment le sujet de Renard (« histoire burlesque chantée et jouée », 1916-1917) et les poésies populaires utilisées dans Les Noces (« scènes chorégraphiques russes », 1917-1923). À travers le cosmopolitisme de Stravinski, ou plutôt à la racine de ce cosmopolitisme, on retrouve un souci constant de retour aux sources, un désir de ne jamais se séparer totalement de sa terre natale. Mais, en tant que père, celui de Stravinski paraît s'être montré assez distant et sévère vis-à-vis de ses enfants. Par les Chroniques de ma vie, nous savons aussi que Stravinski semble en avoir été blessé, et il avoue n'avoir ressenti de réelle tendresse que pour sa nourrice (la niania), son frère cadet (tué au cours de la Première Guerre mondiale) et un oncle qui était un personnage pittoresque aux idées libérales. Cela peut expliquer l'instabilité, le détachement, le souci de ne pas se laisser attacher en un lieu fixe qui paraît caractériser le mode d'existence du musicien. Il n'est pas sans intérêt, par ailleurs, de constater que la musique de Stravinski est demeurée l'une de celles qui sont le plus abondamment jouées dans le monde entier.

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Écrit par

  • : professeur de composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris

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<em>Igor Stravinski</em>, J.-É. Blanche - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Igor Stravinski, J.-É. Blanche

Stravinski et Diaghilev - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stravinski et Diaghilev

<it>Œdipus Rex</it> - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Œdipus Rex

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