STRAVINSKI IGOR FEODOROVITCH (1882-1971)
Le maître de l'orchestre
Selon le calendrier julien (calendrier de la Russie des tsars), Igor Stravinski est né le 5 juin 1882. Selon notre calendrier, il est né le 18 juin de la même année. Profondément attaché à sa terre natale et à ses coutumes, il accordera assez longtemps une certaine importance à ces différences de dates, et les esquisses du Sacre du Printemps portent encore, de sa main, de doubles annotations. Il est né dans un petit pays de villégiature en face de Kronstadt, où son père était venu passer des vacances : Oranienbaum. Le compositeur n'y reviendra jamais, préférant un autre lieu de villégiature où l'entraînaient également ses parents : Oustiloug et, surtout, la ville de Saint-Pétersbourg, où il fit ses études classiques. Igor n'était pas destiné par ses parents à devenir musicien. Mais, comme tout enfant de la bonne bourgeoisie, il fit des études de piano avec une élève d'Anton Rubinstein, Mlle Kashperova. Son grand plaisir, racontera-t-il plus tard, n'était pas de se soumettre au dur apprentissage de la virtuosité pianistique, mais d'improviser. Dès 1903, il avait d'ailleurs écrit une Sonate pour piano qui avait été exécutée une fois au cours des « Soirées russes de musique de chambre », et c'est au cours des mêmes soirées que Stravinski put entendre les quatuors de Debussy et de Ravel qui furent pour lui des révélations. En 1901, à Heidelberg, il fut présenté à celui qui était alors le chef incontesté de l'école musicale russe. Rimski-Korsakov accepta de le rencontrer et d'écouter ses improvisations. On sait que, dès ce moment, la détermination de Stravinski de devenir compositeur était acquise, car il déclara à son illustre auditeur qu'aucun découragement n'aurait de prise sur lui. Loin de le décourager, le maître le prit comme élève.
On peut mesurer la valeur pédagogique de Rimski-Korsakov en se référant à son traité d'orchestration et imaginer que le génie orchestral de Stravinski est dû, en grande partie, à l'influence et à la compétence de son maître. Mais cette explication est insuffisante, car Rimski-Korsakov eut bien d'autres élèves, et aucun de ces derniers n'est parvenu à la maîtrise de Stravinski. Il semble, en revanche, que les tempéraments du maître et de l'élève se soient merveilleusement accordés et complétés. Ce que l'on peut dire de l'enseignement de Rimski-Korsakov est qu'il était froidement technique et d'une rigueur tout objective ; cette froideur et cette rigueur étaient exactement ce qui plaisait au jeune Stravinski, qui considérait déjà, comme il le fit toute sa vie, que la moindre des intentions d'un compositeur devait être non pas le résultat d'une inspiration nébuleuse, mais le fruit d'un artisanat méthodique et consciencieux et que, de plus, ces intentions devaient toujours être complètement et exactement traduites par la partition et la partition seule. « Ce que je demande à un chef d'orchestre, devait-il dire, ce n'est pas de m'interpréter mais seulement d'exécuter mon œuvre. » Si l'on peut passer sous silence une certaine Symphonie en mi bémol majeur écrite sous le contrôle de Rimski-Korsakov (1905-1907), on constate que le génie orchestral de Stravinski éclate dans deux œuvres composées en 1908 : le Scherzo fantastique et Feu d'artifice. On y trouve tout ce qui, plus tard, fera l'essentiel de la personnalité de l'auteur : un goût très vif de la couleur, du timbre, des combinaisons instrumentales insolites pour l'époque, un penchant aussi pour la démesure, pour le pittoresque et, même, une tendance à la vulgarité. Mais, en ce qui concerne cette « vulgarité » de Stravinski, il faut dire qu'elle est complètement ennoblie par la volonté avec laquelle il l'affirme, avec laquelle il en joue, comme pour la dépasser,[...]
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Écrit par
- Michel PHILIPPOT : professeur de composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris
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