Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

IL ÉTAIT UNE FOIS EN CHINE, film de Tsui Hark

Entre chiens de Mandchous et diables roux

La Chine traditionnelle peut-elle réussir le yangwu, c'est-à-dire absorber ce qu'il y a d'utile dans la technique occidentale sans perdre son âme ? Non, répond Huang Fei-hong : avec le train et le télégraphe, il y a les canons, on ne peut pas en prendre et en laisser. La « treizième tante », qui a séjourné aux États-Unis, n'est pas de cet avis : « Si l'on n'apprend pas d'eux, on va rester à la traîne. » Mais la photographie (procédé occidental) qu'elle prend de l'oiseau tue celui-ci net alors même qu'elle était censée l'immortaliser.

Tsui Hark, en tous cas, a réussi à plier à ses propres desseins cet autre média occidental qu'est le cinéma. Il s'adresse par ailleurs à un spectateur qui connaît à la fois le film de kung-fu et l'histoire de la Chine. La quinzaine de combats qui scandent le récit (comme les numéros chantés scandaient jadis les comédies musicales hollywoodiennes), ne peuvent être goûtés sans ennui que par des spécialistes capables d'en saisir l'originalité, c'est-à-dire de dépasser l'aspect systématique du bruitage surdéterminé ou des cadrages en contre-plongée avec objectif à focale courte (une compétence que l'on acquiert d'abord avec le nombre de films vus). De même, s'il nous donne le but ultime de la quête de son héros (faire abroger les « traités inégaux » signés avec les Occidentaux), Tsui Hark passe sous silence les objectifs intermédiaires. Mais cette conception elliptique est justifiée par le choix de raconter une tranche d'histoire bien connue du public de destination (Huang Fei-hong est un héros national). Malheur, donc, au « diable roux » de spectateur qui ignore tout du mouvement des Yihetuan (« milices de justice » à l'origine de la guerre des Boxers), et des différences qui séparent bataillons de police, triades et écoles de kung fu : il sera comme ces soldats français dépassés qui tirent au début du film sur un dragon en confondant le bruit des pétards avec celui des mitraillettes... Sans parler de l'utilisation en contrepoint de l'opéra du Serpent blanc. Ce béotien retrouvera cependant certains des types qu'il connaît : les acolytes comiques (le bègue, le gros), l'héroïne tantôt princesse inaccessible tantôt objet soumis au sadisme du méchant, le traître qui change soudain d'avis... S'il est cinéphile, la scène au cours de laquelle l'orchestre chinois tente de couvrir les alléluias des prêtres français, à tout le moins, lui rappellera Casablanca (Michael Curtiz, 1942), dans lequel patriotes et nazis entamaient une joute vocale dans le café de Rick.

— Laurent JULLIER

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification