OGYVIE ÎLE D'
Déjà mentionnée dans Homère (L'Odyssée, XV), l'île d'Ogyvie est le lieu où Plutarque (46 env.-120) place sa société idéale. Son traité De la face qui paraît sur la Lune, que l'on situe entre 75 et 83 à cause de la mention qu'il fait d'une éclipse solaire, est un dialogue entre savants, notamment sur les chances qu'a la Lune d'être habitée. Au cours du débat, le Carthaginois Sylla, après avoir commenté le vers d'Homère : « Ogyvie est une île située très loin dans la mer », affirme que cette île se trouve à cinq journées de route vers le Couchant, en parlant des côtes de la Bretagne. En continuant encore vers l'ouest, on rencontre le Grand Continent, habité depuis fort longtemps par des Hellènes. Chaque fois que « l'astre de Cronos, que nous appelons, dit-il, Phainon et eux Nyctoros, entre dans le signe du Taureau », c'est-à-dire tous les trente ans, ces Hellènes désignent des jeunes gens qu'ils envoient en offrande au dieu qui habite Ogyvie, Cronos, détrôné par son fils Zeus. Parmi ces ambassadeurs, ceux qui échappent aux périls de l'Océan abordent, en premier lieu, dans les îles situées au large du séjour divin. Ce îles sont une étape intermédiaire où les envoyés séjournent quatre-vingt-dix jours, « considérés comme des saints et salués comme tels ». Poussés par des vents favorables, ils atteignent enfin l'île d'Ogyvie. Nul n'habite ce séjour sacré, sauf les daimones (génies), serviteurs de Cronos et ses anciens compagnons « au temps où il régnait sur les dieux et sur les hommes ». Certains des voyageurs, ayant achevé la période obligatoire du séjour (treize ans), préfèrent demeurer à Ogyvie pour y mener la vie contemplative dans une nature merveilleuse. La présence du dieu transforme en paradis ce coin perdu au milieu du Grand Océan. C'est là, en effet, que Zeus, par vengeance, a enchaîné Saturne « dans les liens du sommeil ». Le dieu repose dans une caverne dont les parois ont l'apparence de l'or. Il voit en songe tous les projets que médite Zeus. Son sommeil, la plupart du temps calme, est parfois troublé parce qu'il se remémore la passion des Titans. Le voisinage de la divinité n'a rien d'effrayant ; il arrive même qu'elle apparaisse avec bienveillance à ses hôtes et qu'elle converse avec eux, surtout lorsque, leur sorte de noviciat terminé, ils songent à repartir. Beaucoup, cependant, décident alors de demeurer à Ogyvie, les uns par habitude, les autres « parce que tous les biens s'y trouvent en abondance pour les sacrifices et les chœurs ». À l'abri de tout souci matériel, leurs loisirs se passent en aimables discussions sur tous les sujets. Celui dont Sylla tient ce récit y a passé trente années à étudier l'astronomie et les sciences physiques. Le texte de Plutarque rapporte ensuite une discussion où la Lune est présentée comme un séjour intermédiaire pour les âmes des défunts et où s'énonce une théorie sur la triple nature de l'homme.
Le problème soulevé par l'île d'Ogyvie n'est pas de caractériser la société idéale selon Plutarque (une académie de savants et de philosophes, honorant la divinité et jouissant de tous les biens matériels), mais bien plutôt de savoir quelles ont pu être les sources de l'auteur. Il donne une description précise de la nuit polaire qui ne peut procéder de l'imagination pure. Beaucoup de commentateurs de la Renaissance, d'autre part, se sont penchés sur la localisation des trois « îles exactement aussi éloignées l'une de l'autre qu'elles le sont de la première » : Kepler (après Ordelius, Theatrum orbis, 1593) y voyait Frisland, Icarie et le Groenland. D'autres, tel Bailly dans ses Lettres sur l'Atlandide d'Islande, les identifie au Spitzberg.[...]
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Écrit par
- Marie-Rose MAYEUX : docteur de troisième cycle, ingénieur au C.N.R.S.
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