SAINT-LOUIS ÎLE, Paris
La réalisation rapide au xviie siècle (à peine une trentaine d'années) d'une opération immobilière explique la très grande unité de l'île Saint-Louis et sa place toute particulière parmi les quartiers conservés du Paris ancien. Jusqu'alors, plusieurs îlots semblaient à la remorque du vaste navire de la Cité, dominé à l'est par les tours de Notre-Dame, par la Sainte-Chapelle à l'ouest, le triangle fermé de la place Dauphine assurant son rôle de proue vers la Seine. Ces îlots, qui appartenaient au chapitre de Notre-Dame, et dont les deux principaux se nommaient l'île Notre-Dame, ou « l'île » tout simplement, et l'île aux Vaches, étaient réservés à des pâtures pour les animaux et demeuraient vierges de toute construction.
Dès le début du xviie siècle, l'entrepreneur Christophe Marie eut l'idée et, bien introduit auprès des autorités, les moyens financiers nécessaires pour relier ces îlots en une seule île affectant la forme d'un parallélogramme, traversée perpendiculairement d'une rue aboutissant à un pont (dont les travées nord portent aujourd'hui son nom) destiné à la relier aux deux rives. Le plan en damier est très simple, et l'église paroissiale qui se place discrètement à l'angle d'une rue transversale et du grand axe principal, la rue Saint-Louis-en-l'Île, n'en rompt point l'ordonnance. Aidé dans cette entreprise par deux financiers, Poulletier et Le Regrattier dont les deux rues perpendiculaires nous rappellent le nom, Marie signe le contrat en 1627 et les travaux débutent en 1630. L'espace de l'île étant réduit et le prix du terrain élevé, la clientèle, noblesse de robe ou haute bourgeoisie, riche et nombreuse, les hôtels s'élèvent en hauteur et renoncent au plan traditionnel entre cour et jardin qui fait la fortune du Marais comme il fera au siècle suivant celle des deux faubourgs de l'ouest. Seuls, les deux hôtels placés à l'extrémité orientale de l'île (Lambert et de Bretonvilliers, détruit de 1840 à 1866) possédaient des jardins allant jusqu'à la Seine (sacrifiés depuis pour le percement en diagonale du pont de Sully).
Les plus beaux hôtels s'élèvent le long des quais du fleuve, sur la rive nord notamment (quais de Bourbon et d'Anjou), et le xixe siècle d'Haussmann, qui a cruellement ravagé la Cité, les a presque tous épargnés, sauf pour l'ouverture de la rue Jean-du-Bellay à l'ouest, percée au débouché du pont Louis-Philippe. Outre l'hôtel Lambert (1641-1644), œuvre de Le Vau, décoré par Eustache Le Sueur et Charles Le Brun, le plus somptueux est l'hôtel Lauzun (1656), d'une architecture sobre à l'extérieur (à l'exception des balcons) qui contraste avec la richesse de la décoration intérieure. L'hôtel sera habité plus tard par Baudelaire, Théophile Gautier et fréquenté par le Cénacle romantique. L'intérieur de l'église Saint-Louis-en-l'Île, commencée en 1664 sur les plans de Le Vau, est de style jésuite et témoigne de l'opulence de ses paroissiens (parmi lesquels Le Vau lui-même, des peintres ou architectes en renom, des financiers, des présidents à mortier). Séparée de la Seine par un écran d'arbres magnifiques qui s'élancent des quais inférieurs, l'île Saint-Louis, à l'écart des grands courants de circulation de la capitale, a conservé, avec son charme provincial, sa vocation « aristocratique » ou résidentielle. C'est un témoin essentiel de l'urbanisme français dans la première moitié du xviie siècle.
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Écrit par
- Guy BELOUET : auteur
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