SONNABEND ILEANA (1914-2007)
Ileana Schapiro est née le 28 octobre 1914 à Bucarest dans une famille roumaine très aisée. Le parcours de celle dont le nom fut étroitement lié à la diffusion du pop art croise celui d'un des plus grands galeristes new-yorkais, le Triestin Leo Castelli, alors employé des assurances en mission en Roumanie. Elle est âgée de dix-sept ans et l'épouse l'année suivante en 1932 et, en guise d'alliance, préférera une aquarelle de Matisse. Le couple s'installe à Paris et fréquente l'intelligentsia surréaliste. Associés à René Drouin, ils ouvrent une galerie place Vendôme à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, avec une exposition de la toute jeune surréaliste Leonor Fini. Avant de se réfugier à New York pour fuir le nazisme sur les conseils du père d'Ileana, ils exposent à Paris Meret Oppenheim et Max Ernst.
Dans la métropole américaine, il leur faut tout reconstruire mais ils progressent vite. Après quelques expositions, Leo Castelli ouvre sa propre galerie en 1957. Ses liens avec Ileana, bien que renforcés par la naissance de leur fille Nina, finissent par se distendre, et leur divorce est prononcé en 1959. Cette année-là, Ileana ouvre son propre espace et rencontre son second mari, Michael Sonnabend (décédé en 2001 à l'âge de cent un ans). Ensemble, ils ouvrent la galerie Sonnabend en 1962 à Paris, quai des Grands-Augustins. Elle est appelée à devenir la tête de pont de l'art américain d'avant-garde en Europe. La première exposition de Jasper Johns (découvert par Castelli) y est organisée. Tous les artistes « pop » qu'Ileana Sonnabend expose, d'Andy Warhol à James Rosenquist et Claes Oldenburg en passant par Robert Rauschenberg, lui vaudront le surnom de « mère du pop ». Très vite, elle soutient et diffuse l'art minimal à Paris, malgré le faible répondant des collectionneurs locaux.
Bien que la critique ait unanimement reconnu son talent prospectif, Ileana Sonnabend rentre au début des années 1970 à New York, sans fermer pour autant l'espace parisien, désormais transféré rue Mazarine (il restera ouvert jusqu'en 1980), et géré un moment par son assistant et fils adoptif Antonio Homem. À New York, elle affiche une nouvelle fois son talent de précurseur et jette son dévolu sur un ancien espace industriel du quartier de SoHo (420 West Broadway) alors en pleine déréliction. Castelli, avec qui son ex-femme entretient des relations collégiales, occupe un espace dans le même immeuble, à l'instar des jeunes galeries d'avant-garde de John Weber et André Emmerich. Ileana Sonnabend inaugure sa carrière américaine en 1971 avec la présentation inédite d'une singing sculpture de Gilbert & George, le visage et les mains peints en bronze et chantant Underneath the arches. Elle accorde toute sa confiance aux jeunes artistes, même lorsqu'il s'agit de Vito Acconci se masturbant quotidiennement pendant quinze jours pour le bien de sa pièce Seedbed. « J'aime l'art qui n'est pas acceptable au premier regard, un art qui oblige à changer soi-même pour pouvoir l'apprécier. Les œuvres qui m'intéressent sont à la fois nouvelles et classiques. Elles traduisent d'une nouvelle manière des situations connues ». La galerie Sonnabend fut également la vitrine de l'arte povera aux États-Unis, les grandes pages de l'art minimaliste y furent écrites par Dan Flavin, Donald Judd ou Robert Morris dans les années 1970, et l'espace de SoHo servit de tremplin aux membres du mouvement « Neo-Geo », Peter Halley, Haim Steinbach et Jeff Koons dans les années 1980. En quelques années, Ileana Sonnabend va gagner un nouveau surnom, la « reine de SoHo ». Elle aurait pu se reposer sur ses lauriers et devenir plus conventionnelle, mais elle n'a jamais cessé d'innover. Ainsi, en 1991, elle laisse les coudées franches à Koons pour[...]
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
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