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ILLUSION

Métaphoriquement dérivé de la réduction psychologique des enchantements magiques et des découvertes de l'optique géométrique, couronnant, avec Kant, la critique relativiste de l'optimisme leibnizien, le concept moderne d'illusion a conquis une position centrale dans la réflexion de Schopenhauer et dans celle de Nietzsche, avant de soutenir le développement de l'expérience psychanalytique en une théorie de la culture.

Sous les espèces de l'« illusion transcendantale », l'illusion est en effet appelée à recouvrir, dans la pensée kantienne, ce phénomène « naturel et inévitable » qu'est la représentation des liaisons subjectives « dans l'apparence d'une nécessité objective », par transgression des conditions limitatives de l'expérience sensible, qui en assureraient la validité effective. Avec Schopenhauer, la critique est étendue à l'ensemble des déterminations individuelles, pour autant que celles-ci relèvent du domaine phénoménal régi par le principe de raison suffisante, à l'exclusion de l'en-soi de la volonté ; c'est la représentation tout entière qui peut être ainsi assimilée à la maya hindoue. Mais l'organisme est la première figure de l'individuation ; on sera donc amené à expliquer la genèse des illusions par les exigences de la vie : telle sera la position de Nietzsche. L'existence, en son fond, n'est plus l'en-soi, elle est en position intermédiaire entre l'en-soi et le néant, elle est devenir ; l'illusion ne sera donc plus, comme elle l'était chez Schopenhauer, un voile jeté sur le néant des déterminations, en opposition à l'indétermination pure de l'en-soi ; elle exprimera la tentative du vivant humain pour se masquer l'angoisse de cette existence en devenir.

L'originalité de la conception freudienne va consister alors, en rupture avec Nietzsche, à dériver l'illusion non plus d'une économie de défense de la vie, mais de la tentative de résolution, au niveau de la culture, des impasses auxquelles est confronté le sujet du fait même des servitudes de son acculturation. Ainsi pourra-t-on décrire, selon les domaines où cette compensation intervient, divers types d'illusion — artistique, religieuse, politique — dont le paradigme sera figuré par l'illusion amoureuse.

Dans sa définition la plus générale, illustrée par Freud avec l'exemple de la religion, l'illusion pourra donc être entendue comme « une croyance motivée par le désir, et indifférente à l'effectivité ». Sur ce fondement, quatre orientations de recherche pourront être dégagées.

L'illusion est croyance : à ce titre, le transfert permet d'en restituer la genèse ; elle prend origine de l'amour, et plus précisément de l'investissement de l'adulte omnipotent, dont le thérapeute est le substitut.

L'illusion est motivée par le désir : à partir des conditions générales de la croyance auront à être décrites les diverses voies tracées par le désir pour la maintenance de l'objet ancestral tout-puissant dans une position gratifiante.

L'illusion est indifférente à la réalité : dans cette vue, auront à être distinguées réalité (indépendance du soi narcissique) et effectivité (existence hic et nunc).

L'illusion peut s'ordonner au principe de réalité, dans le cas de l'illusion artistique par exemple, tout en mettant hors circuit l'effectivité.

Les différents types d'illusion pourront précisément se différencier selon leur degré de tolérance aux exigences du principe de plaisir, en opposition à la réalité.

On comprend, dès lors, que toute illusion puisse être entendue comme une projection de la structure scindée du psychisme en un « ultra-monde », monde de l'Idéal, du Bien ou de la Justice. La séparation entre l'en deçà[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

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