ILLUSIONS AUDITIVES
Sons montant et descendant simultanément
Si maintenant l'on augmente l'amplitude des composantes graves au détriment de celle des composantes aiguës (au fur et à mesure que ces composantes montent en restant à intervalle d'octave), on obtient un son qui descend la gamme : mais, comme dans la célèbre gravure Cascade de Maurice Cornelis Escher, cette descente aboutit à un point plus élevé. Un son formé de composantes séparées d'un peu plus d'une octave donne naissance à une illusion encore plus frappante : pour la plupart des auditeurs, ce son paraît baisser lorsqu'on double la vitesse de la bande magnétique sur laquelle il est enregistré ! Ces deux illusions sont réalisées en jouant sur une structure artificielle du son pouvant faire entrer en conflit variations de hauteur tonale et variations de hauteur spectrale (ainsi, pour des sons formés d'octaves, la hauteur tonale est liée aux variations de fréquence au sein d'une octave, et la hauteur spectrale à la position du centre de gravité des composantes). Les études de Gérard Charbonneau et de Jean-Claude Risset montrent d'ailleurs que les hauteurs tonales et spectrales, lorsque leurs variations peuvent être séparées, paraissent être perçues préférentiellement par des oreilles différentes, donc par des hémisphères cérébraux différents – la hauteur tonale étant mieux perçue par l'hémisphère gauche, souvent considéré comme spécialisé dans les opérations analytiques, et la hauteur spectrale par l'hémisphère droit, plus spécialisé dans l'appréhension synthétique.
Ces observations indiquent donc que la notion de hauteur est composite : dans certains cas, des individus peuvent même être en désaccord sur le sens d'une variation de hauteur, suivant le poids qu'ils attachent aux aspects spectral et tonal, et ce poids semble dépendre de l'histoire de l'individu (ainsi le poids attaché à l'aspect tonal est élevé chez les musiciens exercés). Certains « fans » de la haute fidélité sont curieusement « sourds » aux hauteurs tonales ; mais ils sont très sensibles aux hauteurs spectrales et exigeants pour leur restitution fidèle.
Paradoxes de rythme
En 1970, Ken Knowlton a réalisé aux Bell Laboratories un battement paraissant accélérer indéfiniment. À l'université d'Aix-Marseille et à l'I.R.C.A.M., Jean-Claude Risset a généralisé cette illusion et l'a couplée à l'illusion de hauteur (les mécanismes sont d'ailleurs analogues), pour réaliser par exemple un son rythmé qui descend et ralentit indéfiniment, ou une suite de notes qui montent la gamme pour aboutir à une note plus grave, et qui simultanément accélèrent pour aboutir à un rythme plus lent qu'au départ. Ces illusions ont été utilisées musicalement (J.-C. Risset, Mutations I, 1969) ; on peut signaler l'intérêt du compositeur György Ligeti pour ces travaux et pour ceux de John M. Chowning sur l'espace illusoire.
Intégration auditive
L'audition procède à une intégration complexe des signaux qu'elle reçoit, et cette intégration peut dépendre du contexte ou de la disposition mentale de l'auditeur. Ainsi les notes fa et si jouées sur le piano appellent pour un musicien la résolution mi-do, dans le ton d'ut majeur ; mais qu'il interprète ces mêmes notes comme étant fa et do bémol, et la résolution impliquée sera sol bémol et si bémol, en ré bémol majeur. Cette inversion évoque le cube réversible imaginé par Louis Albert Necker.
Le traitement temporel élaboré qu'effectue l'audition peut donner lieu à des percepts qui semblent mal correspondre à la structure physique du signal. C'est le cas de l'effet de masque rétroactif : un son intense peut masquer un son qui l'a précédé (J. J. Zwislocki) ; ici, l'effet paraît précéder sa cause ! Pierre Schaeffer a montré qu'on pouvait[...]
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Écrit par
- Jean-Claude RISSET : compositeur, directeur de recherche au C.N.R.S. (laboratoire de mécanique et d'acoustique, Marseille)
- David WESSEL : Experimental Psychologist, Psychoacoustician
Classification
Médias