ILLUSIONS PERDUES (X. Giannoli)
Dans Illusions perdues (2021), film de Xavier Giannoli adapté du roman de Balzac, Lucien de Rubempré rêve, depuis son Angoulême natale, de gloire et de poésie comme tant de jeunes gens de sa génération. La Révolution est déjà loin, la gloire de l’Empire est passée, le romantisme occupe les esprits tandis que la presse connaît un essor considérable. Les occasions de s’illustrer sont devenues rares dans la France somnolente et conformiste de la Restauration, une France où gagner de l’argent à l’abri des soubresauts de l’histoire devient l’unique idéal. En 1821, Lucien arrive à Paris en compagnie d’une femme plus âgée que lui, illustre à Angoulême pour son raffinement et qui ne sera plus dans la capitale qu’une anonyme sans beaucoup d’éclat. Cet amour part vite en fumée et Lucien, pris en charge par de bien plus malins que lui, sera de moins en moins poète, de moins en moins pur, de plus en plus journaliste. Il connaîtra un succès rapide, gagnera la gloire et perdra à peu près son âme.
« Je suis né prince »
La perte de la pureté coïncide avec une ascension sociale fulgurante, une vie luxueuse, superficielle, où Lucien n’utilise plus que son intelligence et son talent, en oubliant totalement son honnêteté et son courage, en trahissant le poète qu’il a été. Ce récit, Balzac le mène dans Illusions perdues en pensant à lui-même, à sa jeunesse de provincial parti à la conquête de Babylone. La grande différence étant bien sûr que Balzac a vite décidé de se plonger dans le travail avec la force d’une immense ambition littéraire tandis que Lucien ne fait que céder à la facilité et à la jouissance immédiate. Sa faiblesse, qui pourrait ne le plonger que dans la médiocrité, l’amènera à la tragédie. Une tragédie déclinée dans Illusions perdues, paru entre 1837 et 1843, et dans Splendeurs et misères des courtisanes publié entre 1838 et 1847.
Xavier Giannoli, qui pensait depuis très longtemps à l’adaptation d’Illusions perdues, a privilégié la partie centrale du roman, celle qui s’intitule ironiquement « Un grand homme de province à Paris ». L’adaptation télévisuelle de Maurice Cazeneuve (1966) avait laissé un souvenir assez ébloui dans la mémoire de ceux qui l’avaient vue. Tout en respectant le travail de Cazeneuve, Giannoli a construit son film contre la notion télévisuelle d’adaptation fidèle et illustrative d’un classique. Il s’est résolument placé sur le terrain du cinéma, pensant d’abord au rythme, au point de vue, à l’enchaînement des plans, à la rythmique propre aux grandes œuvres de Scorsese ou d’Ophüls. Scorsese : Lucien connaît une initiation digne de celle de Henry Hill dans Les Affranchis. La mafia n’est pas tout à fait la même, mais les journalistes sans scrupules qui gravitent autour du Palais-Royal en 1821 ne sont pas si éloignés des gangsters du Brooklyn des années 1950. Ophüls : Giannoli est sur les traces du réalisateur de La Ronde quand il montre l’enchaînement infernal des événements qui amènent l’ascension et la chute de Lucien.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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