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ILLUSIONS PERDUES (X. Giannoli)

« Le journal tient pour vrai ce qui est probable… »

Le film parle évidemment de notre temps. On n’imprime plus les journaux de la même façon, on ne traverse pas la capitale avec les mêmes moyens. Mais perdurent la transmission des idées fausses, des nouvelles fausses, la rapidité qui fait de l’imbécillité du matin la phrase toute faite qu’on répétera le jour entier, la gloire des incultes et des petits malins, l’arrogance de l’argent et de la combine, le piétinement des naïfs, des faibles, des innocents, le succès éclatant accordé à la formule habile plutôt qu’à la profondeur du travail, à la pensée de l’artiste, qu’on soit sur Internet ou dans les feuilles de chou publiées sous Louis XVIII. On a tout changé pour que rien ne change, comme dit son neveu Tancrède au prince Salina, dans Le Guépard de Visconti.

Plus indulgent que Balzac, Xavier Giannoli garde à son Lucien des moments d’honnêteté, de sincérité, par exemple dans l’amour qui le lie à Coralie, l’actrice débutante. Benjamin Voisin, qu’on avait vu briller dans Été 85 de François Ozon, et Salomé Dewaels, qu’on découvre ici, déjà très grande comédienne, forment un couple sensible, condamné par une réussite faite de mensonges et cernée de pièges. Autour d’eux, le metteur en scène a réuni une belle troupe, de Xavier Dolan à Cécile de France, de Jeanne Balibar à Gérard Depardieu, d’André Marcon au regretté Jean-François Stévenin, de Vincent Lacoste et Louis-Do de Lencquesaing à Candice Bouchet.

Lucien de Rubempré, c’est un peu Martin Eden, le héros de Jack London magnifiquement ressuscité dans le film de Pietro Marcello en 2019. Pur et calculateur, talentueux et bientôt perdu. Et surtout écrivain. Le cinéma n’est pas très habitué à représenter les écrivains, à quelques exceptions près. Il est toujours passionnant de voir un réalisateur mettre en scène ce qui est le moins cinématographique, à savoir l’écriture, l’imprimerie, les livres. Mais Lucien est surtout le frère d’Alain, le chanteur que personne ne reconnaît, que jouait Depardieu en 2006 dans Quand j’étais chanteur, le frère de Philippe, l’imposteur joué par François Cluzet en 2009 dans À lorigine, le frère de la chanteuse qui ne sait pas chanter qu’interprétait Catherine Frot dans Marguerite en 2015, le frère d’Anna, la jeune fille qui a vu la vierge jouée par Galatea Bellugi dans LApparition en 2018. Mensonge et pureté, imposture et catastrophe, idéalisme et calcul, voici autant de projecteurs variés, mais toujours des projecteurs, sous lesquels les personnages sont placés. Le travail de Xavier Giannoli se poursuit dans le même sillon, avec la même intelligence, la même exigence d’un cinéma qui pense vraiment et n’oublie jamais d’être spectaculaire.

— René MARX

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