ILLUSIONS PERDUES, Honoré de Balzac Fiche de lecture
De l'idéalisme à la désillusion : un roman d'éducation
Dans ce roman, Balzac a mis tout lui-même, jusqu'à prêter ses propres traits à David Séchard : « Son visage brun de ton, coloré, gras, supporté par un gros cou, enveloppé d'une abondante forêt de cheveux noirs, ressemblait au premier abord à celui des chanoines chantés par Boileau. » Les souffrances de l'imprimeur, les tracas de la faillite, le harcèlement des hommes de loi, il a vécu tout cela. Mais les ignominies du journalisme, « la plus grande plaie de ce Siècle », lui sont tout autant familières. Cette connaissance intime des univers qu'il dépeint lui permet donc de donner la plus haute expression à ce qui fait le propre de son génie : comprendre les forces secrètes qui régissent le réel, puis les retranscrire et les dévoiler dans un monde de fiction.
Roman de la révélation, Illusions perdues est du même coup celui de l'initiation : celle d'un jeune homme ignorant de la vie, écartelé entre la recherche exigeante d'un absolu et la tentation des plaisirs et des succès faciles. Peu à peu déniaisé (« Le poète apprenait l'envers des consciences, le jeu des rouages de la vie parisienne, le mécanisme de toute chose »), Lucien est amené à choisir son destin : la lumière, l'idéalisme d'un David ou d'un d'Arthez, ou bien l'ombre, le cynisme d'un Lousteau, le pacte diabolique proposé par Herrera que Rastignac, dans Le Père Goriot, avait refusé et auquel il succombe. « Au lieu de me tuer, j'ai vendu ma vie », écrit-il à sa sœur. Grande lutte du Bien et du Mal qui accentue les éclats romantiques traversant çà et là le récit réaliste.
L'initiation et la connaissance nouvelle qu'elle procure font d'Illusions perdues un livre « plein d'amères tristesses ». Dans son ambiguïté, Paris, ville de l'éclat, paradis des « lions », est aussi le théâtre de la désillusion. Louise et son protégé voient se défaire l'image idéalisée qu'ils se prêtaient l'un à l'autre. David renonce à exploiter son invention. Lucien prend conscience des faux-semblants de la scène parisienne où on fabrique tout, même le succès. Il n'est pas jusqu'à Herrera – le forçat Jean Vautrin –, qui, passant devant la maison natale de Rastignac, n'ait le regret d'une occasion manquée. Proust était fasciné par la nostalgie qui imprègne cet épisode, de même que par l'ambiguïté qui marque le personnage de Lucien et ses relations avec le faux abbé : le personnage de Charlus, dans La Recherche du temps perdu s'en ressent. Pour ces raisons, Illusions perdues n'est pas seulement le chef-d'œuvre de Balzac et le modèle le plus achevé des romans d'éducation ; c'est aussi le prototype de tous les grands récits d'échec et de désabusement qui scanderont l'histoire de la littérature.
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
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