PRIGOGINE ILYA (1917-2003)
Irréversibilité
Prigogine a accompagné et promu ce développement, mais a consacré l'essentiel de sa recherche à un autre problème, celui de la réouverture de la question de l'irréversibilité considérée comme close depuis l'interprétation probabiliste de l'entropie par L. Boltzmann. Pour lui, le rôle constructif joué par les processus irréversibles loin de l'équilibre constitue un argument supplémentaire décisif contre la plausibilité de la solution traditionnelle qui identifie l'irréversibilité à une simple conséquence du caractère approximatif de la définition macroscopique des systèmes.
Dès 1962, Prigogine avait publié un ouvrage fondamental Nonequilibrium Statistical Mechanics, dans lequel la théorie cinétique de Boltzmann est reprise dans le contexte d'une dynamique des corrélations. Cependant, l'ambition de Prigogine ne s'est pas limitée au domaine de la mécanique statistique. Tant la dynamique classique que la mécanique quantique semblent exclure que la « flèche du temps » ait un caractère intrinsèque. L'entreprise de Prigogine revenait donc à rien moins qu'à remettre en cause l'ambition de ces deux sciences à constituer le point de vue idéal, exhaustif, sur leur objet. Il s'agissait de démontrer que les systèmes dont le comportement observable impose la notion d'approche irréversible vers l'équilibre autorisent au niveau dynamique ou quantique des questions exactes, qui pourtant ne peuvent être formulées ni en termes de trajectoires ni en termes de fonction d'onde.
Cette entreprise a été fécondée par le développement de la dynamique des systèmes instables, qui a suivi les travaux d'A. Kolmogorov, V. Arnold et J. Moser. Les « applications chaotiques » ont fourni un champ d'expérimentation physico-mathématique éminemment plus simple que les « grands systèmes » qui sont l'objet de la théorie cinétique. Parallèlement, la question de la non-intégrabilité liée par Poincaré (1892) à l'existence de résonances entre les degrés de liberté du système désignait l'enjeu physique de cette expérimentation. Les systèmes où une approche vers l'équilibre est observable sont tous caractérisés par des résonances (au sens de Poincaré), et ils comportent de plus un nombre infini de degrés de liberté (limite thermodynamique). Il s'agissait d'aboutir à un formalisme qui permette de donner une représentation intrinsèquement probabiliste, à symétrie temporelle brisée, aux grands systèmes non intégrables, au sens de Poincaré.
Dans les années 1970, la démonstration de Prigogine impliquait encore un « principe de raison finie » : l'exclusion de toute description physique qui implique non pas une connaissance aussi précise que l'on veut mais une connaissance actuellement infinie de l'état initial du système. Dans les années 1990, Prigogine et ses collaborateurs ont incorporé de nouveaux instruments mathématiques, issus du champ contemporain de l'analyse fonctionnelle. Cette innovation physico-mathématique mène à la formulation d'une évolution probabiliste fléchée dans le temps qui peut désormais prétendre constituer une généralisation rigoureuse des lois de la dynamique et de la mécanique quantique. Les propriétés dissipatives que cette formulation permet d'attribuer au système ne sont pas liées à une approximation, mais résultent du fait que la description de l'évolution physique incorpore des propriétés non locales déterminées par la topologie complexe de l'espace des phases des systèmes hautement instables (chaotiques). De ce point de vue nouveau, les « lois » usuelles, dont l'objet est le comportement individuel d'un système classique ou quantique, constitueraient seulement un cas particulier, traduisant la structure régulière de l'espace des phases des systèmes dynamiques stables.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Isabelle STENGERS : chargée de cours associée à l'Université libre de Bruxelles, docteur en philosophie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Média
Autres références
-
HASARD & NÉCESSITÉ
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Ilya PRIGOGINE et Isabelle STENGERS
- 9 614 mots
« Avec la généralisation de la thermodynamique, on arrive à comprendre que la vie est la règle dans certaines conditions et que le dualisme de la nécessité et du hasard est dépassé. » (Ilya Prigogine)
La vie est caractérisée par l'ordre : le métabolisme des cellules nécessite la...
-
STRUCTURE DISSIPATIVE
- Écrit par Isabelle STENGERS
- 2 475 mots
Le terme « structure dissipative » a été créé, en 1969, par Ilya Prigogine pour souligner la signification des résultats auxquels lui-même et ses collaborateurs de l'école de Bruxelles venaient de parvenir : loin de l'équilibre thermodynamique, c'est-à-dire dans des systèmes...
-
THERMODYNAMIQUE - Processus irréversibles non linéaires
- Écrit par Agnès BABLOYANTZ , Paul GLANSDORFF , Albert GOLDBETER , Grégoire NICOLIS et Ilya PRIGOGINE
- 9 741 mots
- 8 médias
Les progrès réalisés dans le domaine non linéaire sont beaucoup plus récents. On connaît cependant à leur sujet un critère d'évolution général régissant le comportement d'un système dissipatif, soumis à des contraintes stationnaires (Paul Glansdorff et Ilya Prigogine, 1954).
-
VITALISME
- Écrit par Marie-Christine MAUREL
- 3 768 mots
- 5 médias
...manière de raisonner et de comprendre comment, à partir des premières synthèses prébiotiques, ont pu émerger certaines formes d'organisation des molécules. Pour Ilya Prigogine, un système vivant est un système ouvert qui échange continuellement matière et énergie avec son environnement. Il est le siège d'entrées...