Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

IMAGE ANIMÉE

Depuis les temps les plus reculés, l’être humain a toujours voulu recréer la vie en animant des images. Les peintures rupestres témoignent déjà de ce désir. À la lumière changeante des flambeaux, les lions enchevêtrés de la grotte Chauvet-Pont d’Arc ou les sangliers d’Altamira (Espagne) semblent bouger et parcourir l’espace. La République de Platon réactive ce besoin sur le plan symbolique, et lui donne une paradoxale actualité. Dans une caverne, des hommes immobiles, enchaînés, condamnés à vivre dans l'obscurité, voient les images des corps en mouvement projetées sur la paroi.

À la Renaissance, les peintres mettent en pratique la perspective grâce à la camera obscura (chambre noire ou chambre optique) et au perspectographe de Dürer. Les tableaux éclatent alors en déplacements entremêlés, tels que dans les images successives de Léonard de Vinci ou la spectaculaire Bataille de San Romano de Paolo Uccello, comme pour répondre à l’attente de ce que le cinéma donnera bien plus tard au public : le déplacement d’un corps en mouvement dans le temps et dans l’espace.

En 1588, le Napolitain Giambattista della Porta prétend faire apparaître, à l'intérieur de sa camera obscura perfectionnée, des « chasses à courre, des banquets, des armées d'ennemis, aussi nettement et clairement que s'ils étaient devant nos yeux ». Le Français Jean Leurechon,dans son livreRécréation mathématique publié en 1626, demande à voir dans la camera obscura le « mouvement continué » que les peintres, dit-il, sont incapables de représenter sur leurs tableaux. « Le mouvement continué » : une notion capitale pour ce qui va suivre.

L’art trompeur

Un concept essentiel émerge au xviie siècle : « l’art trompeur ». Cet art très ancien, le septième si l'on veut, consiste à transfigurer les images par la lumière et, avec l'aide des règles de la perspective et des sciences optiques – dioptrique et catoptrique –, à les animer, à les déformer parfois.

La lanterne magique - crédits : Cinémathèque française

La lanterne magique

C'est au médecin et voyageur français Charles Patin que nous devons la première mention de l'art trompeur, en 1674. Patin est alors en Allemagne, et assiste à un spectacle de lanterne magique donné par un moine. Dès son apparition en 1659 dans le cabinet de physique de l’astronome hollandais Christiaan Huygens à La Haye, la lanterne magique ou « lanterne de peur » (appelée ainsi en raison de l’effet qu’elle provoque) permet la projection d’images animées peintes sur verre. Certaines de ces plaques sont mécanisées, et permettent de montrer sur une toile blanche des vues lumineuses mouvantes. Par exemple, un squelette inspiré de la Danse des morts de Holbein salue l’assistance terrifiée en détachant son crâne de ses épaules. Image choc qui va traverser les siècles, en passant par Walt Disney ou Tim Burton.

L'art trompeur, écrit Patin à propos de ce spectacle de lanterne magique, « peut placer la moitié du monde dans un point ». Il a trouvé « le moyen de faire sortir des échos visuels du cristal » – il parle précisément ici du faisceau lumineux, chargé d'images, qui s'échappe de la lentille en cristal dont la lanterne magique est équipée. Le moine, avec sa lanterne magique, « remue les ombres comme il veut sans le secours des enfers » : les images « roulent dans les ténèbres » jusqu’à l’écran blanc. « Cet art trompeur se joue de nos yeux et, avec la règle et le compas, dérègle tous nos sens. »

Ce « dérèglement de tous les sens », qui nous évoque Arthur Rimbaud, constitue l’un des moteurs de la recherche précinématographique. Au fond, il demeure aussi l’un des axiomes du cinéma moderne à grand spectacle.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française

Classification

Médias

La lanterne magique - crédits : Cinémathèque française

La lanterne magique

Phénakistiscope de Joseph Plateau - crédits : Stéphane Dabrowski/ Cinémathèque française

Phénakistiscope de Joseph Plateau

<em>Étude de la course du cheval</em>, E. Muybridge - crédits : Eadweard Muybridge/ Hulton Archive/ Getty Images

Étude de la course du cheval, E. Muybridge

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE VISUELLE

    • Écrit par
    • 4 464 mots
    ...des séquences spécifiques de l’activité humaine pour en favoriser l’étude. Puis il a élaboré un programme d’anthropologie visuelle avant l’heure (Piault, 2000), faisantdes images animées une source d’analyse comparée du mouvement des corps, selon une théorie où la différence raciale prévalait.
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Les techniques du cinéma

    • Écrit par , , , et
    • 17 534 mots
    • 17 médias
    Au cours du xxie siècle, des évolutions dans les techniques de restitution d'images animées en relief pourront permettre d'éviter l'utilisation de lunettes stéréoscopiques. Plusieurs inventeurs ont déjà tenté de mettre au point des procédés de projection stéréoscopique où le relief serait visible...
  • CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'animation

    • Écrit par et
    • 17 657 mots
    • 5 médias
    Depuis les années cinquante, mais seulement dans des laboratoires réservés aux recherches militaire, industrielle et architecturale, le couplage du tube cathodique et de l'ordinateur préparait l'émergence d'un nouveau système de création picturale. Lié à un codage de toutes les valeurs visuelles en...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Musique de film

    • Écrit par
    • 6 489 mots
    • 5 médias
    ...montage, enfin de la seule vertu symphonique de son orchestration visuelle. [...] Mais, dès mon premier film, je déchantai. J'avais aperçu à temps que l'image animée n'a pas, par vertu propre, le pouvoir affectif que je lui attribuais ; que sans musique les images ne parlent pas ; que la musique,...
  • Afficher les 11 références