IMAGE ANIMÉE
La fantasmagorie
La technique des projections lumineuses et animées évolue très vite. Durant les années 1790, des physiciens imaginent un nouveau genre de spectacle lumineux, la fantasmagorie, qui renoue avec le passé sulfureux de la lanterne de peur. De grandes séances d’images lumineuses, animées, en couleurs et sonores, sont données à Paris à partir de 1792, par le magicien Paul Philidor puis par Étienne-Gaspard Robertson, entre autres fantasmagores. Rétroprojections mobiles sur de la fumée, électrocutions du public, vaporisations de narcotiques, pseudo-résurrection des morts, images animées en volume grandissant et rapetissant au fur et à mesure que la lanterne glisse sur des rails comme dans un travelling : le spectacle est très élaboré. Les personnages lumineux et animés traversent l’écran en tous sens. Ils surgissent du fond de la salle pour venir jusqu’aux spectateurs avec une vélocité stupéfiante et disparaissent aussi vite.
Après plusieurs siècles de manipulations infligées aux images pour qu’à la fin, comme l’eût dit Galilée, « elles bougent », le cinématographe, avec ses vues documentaires (prétendant recréer la réalité) ou truquées (donnant vie, comme à l’époque de Patin, aux pires fantasmagories), apparaîtra comme l’une des apothéoses de l’art trompeur. Lorsqu'on parle du cinéma, il ne faut jamais perdre de vue qu'il s'agit d'un art de l'illusion, nullement d'un transfert mécanique du monde extérieur sur l'écran.
L’art trompeur et le futur cinéma sortent de leur période primitive au xixe siècle, durant l’ère industrielle. Grâce à l’essor de la science, tout se précise à une vitesse vertigineuse, plus particulièrement à partir du moment où quelques savants théorisent le principe de la stroboscopie (visualisation des phénomènes trop rapides pour être suivis par l’œil) et donnent naissance à une pléiade de « jouets d’optique » aux noms parfois barbares : anorthoscope, thaumatrope, phénakistiscope, phantasmascope, stéréoscope, praxinoscope, bioscope, grimakistiscope, zootrope, mégascope, électrotachyscope, diorama, polyorama panoptique, chromatrope, animatographe, lorgnette pittoresque, folioscope (flip book), zoopraxiscope, eidotrope, cyclorama, viviscope, tachyscope, kinétoscope, mutoscope, cycloïdotrope, chronophotographe, théâtrographe, etc.
L’étude du phénomène de la « persistance des impressions lumineuses sur l’œil » (si on ferme les yeux après avoir fixé une flamme, celle-ci apparaît un certain temps en fantôme), connu depuis l’Antiquité, donne naissance en plein romantisme à des procédés qui fascineront Baudelaire dans sa Morale du joujou. Le Britannique Michael Faraday, le Belge Joseph Plateau, l’Autrichien Simon Stampfer sont à l’origine de la commercialisation en 1833 des disques stroboscopiques ou phénakistiscopes qui, avec leur système obturateur, posent les bases essentielles de la future technique cinématographique.
Parallèlement, la fusion entre la stroboscopie, la photographie et la stéréoscopie est vite envisagée. Après la révélation par le Britannique Charles Wheatstone, en 1838, du stéréoscope à prisme permettant la vision d’images en trois dimensions, et après la divulgation en 1839 de la photographie (le daguerréotype) par Louis Daguerre, quelques chercheurs intrépides et utopistes veulent en effet obtenir des clichés mouvementés et déjà en relief. Malgré le manque de sensibilité des procédés photographiques, certains de ces premiers animateurs (Antoine Claudet, Henry Cook, Gaetano Bonelli, Jules Duboscq) parviennent à donner vie et un semblant de relief aux images auparavant figées du daguerréotype.
En 1861 et 1864, le Belge Henry Du Mont et le Français Louis Ducos du Hauron expérimentent le principe même de la prise de vues cinématographique : une plaque ou une bande sensible, déplacée par[...]
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Écrit par
- Laurent MANNONI : directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française
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