IMAGE ANIMÉE
Le temps de l’industrialisation
Cette fusion va se concrétiser complètement au cours de l'année 1895. Louis Lumière, qui connaît le kinétoscope et les appareils de projection d'Émile Reynaud et de Georges Demenÿ, dépose le 13 février 1895 un brevet pour un appareil chronophotographique réversible, non encore nommé Cinématographe, et qui va être présenté le 22 mars 1895 à Paris, devant les membres de la Société d'encouragement. Lumière a copié le film Edison en reprenant le format 35 mm, mais il l’a perforé différemment (un trou rond de chaque côté de l'image) afin, peut-être, d’éviter un procès. Cette exhibition du kinétoscope de projection – ainsi est baptisée, à cette époque précise, la machine de Lumière – suscite l’admiration générale des spectateurs et journalistes présents. La suite est bien connue : après plusieurs projections privées, ce n'est que le 28 décembre 1895, au cours de la séance du Grand Café à Paris, que les Lumière montrent enfin au public, en échange d'un droit d'entrée, une dizaine de films réalisés par leurs soins et projetés par le Cinématographe – l’appareil a été enfin baptisé en mai (nom emprunté à une caméra précédemment mise au point en 1892 par Léon Bouly). Les films projetés, d’excellente qualité, remportent un vif succès : L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, L’Arroseur arrosé, Le Déjeuner de bébé, La Sortie des usines Lumière à Lyon…
La démarche esthétique de Louis Lumière et de ses opérateurs (environ 1 400 films réalisés à travers le monde de 1895 à 1904) diffère de celle de Marey et d’Edison. Marey voulait « voir l’invisible », notamment à l’aide de la prise de vues à grande vitesse (jusqu’à 100 images par seconde). Pour lui, montrer un train dans une gare, à vitesse réelle, ne présentait strictement aucun intérêt, puisque l’œil nu pouvait déjà voir ce spectacle. Il voulait, comme Méliès plus tard, créer des images que personne n’avait vues avant lui. Edison et Dickson, de leur côté, flattent les sens du public et posent les bases du futur cinéma hollywoodien : films de fiction et de genre, violence. Marey, Edison, Lumière, Méliès offrent chacun une palette nouvelle et extraordinairement riche, inédite, qui va permettre à l’industrie naissante de satisfaire très rapidement tous les goûts et les demandes.
Pour en revenir à la stricte chronologie : le premier en Europe à gagner de l'argent en montrant des projections de films est l’Allemand Max Skladanowsky qui, le 1er novembre 1895, au Wintergarten de Berlin, donne des séances de « Bioskop ». Cet appareil à double bande est cependant complexe : deux films 54 mm, dont les perforations sont renforcées par des œillets métalliques, défilent en même temps, mais les images sont projetées alternativement d’une bande à l’autre (on peut y voir une fidélité aux doubles lanternes magiques à fondu enchaîné). Les images réalisées avec une caméra rustique et reproduisant des scènes de music-hall sont cependant de belle qualité.
Pourquoi le Cinématographe Lumière, dont le mécanisme repose presque entièrement sur des idées anciennes et déjà exploitées (la chronophotographie, la projection, la pellicule 35 mm perforée, la came triangulaire, et enfin un mécanisme d’entraînement inspiré de celui de la machine à coudre), a-t-il ainsi et malgré tout remporté la course technologique, alors que son concepteur est arrivé si tardivement dans cette longue histoire, et en quasi dilettante ? Pourquoi, par exemple, le mareysien Georges Demenÿ, obsédé par la chronophotographie depuis 1882, n’a-t-il pas pu relever ce défi ? Pourquoi Edison, à l’affût des nouveautés avec toute une armée d’ingénieurs surdoués, est-il passé à côté d’une nouvelle manne financière (son kinétoscope allait disparaître presque instantanément après l’arrivée du[...]
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Écrit par
- Laurent MANNONI : directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française
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