IMAGE
La partie pour le tout
La question des sources est centrale en histoire de l'art comme en iconologie, science des images ou plutôt prétendue telle, et les écrits théoriques des peintres s'inscrivent, pour la plupart, sous le signe de l'autorité, voire du mythe des origines, comme il en est de l'Antiquité pour les artistes de la Renaissance par exemple. Le retour aux sources iconographiques semble aussi s'imposer comme une condition nécessaire au déchiffrement de l'image et à son interprétation à l'identification des thèmes et à l'analyse des motifs.
Conjuguant la question du modèle avec le souci d'en proposer le premier portrait, le thème de saint Luc peignant la Vierge est paradigmatique de cette quête toujours recommencée de l'origine car, si chaque artiste prétend retrouver le premier visage, l'historien cherche à identifier la première œuvre, à décrire la genèse du « sujet » en établissant son acte de naissance, en fixant le moment de son apparition. Iconographique avant d'être iconologique, la « science des images » et de leur histoire reposerait-elle, à son tour, sur un mythe ? Le mythe des origines et du premier homme ? Son statut de science est en jeu, car c'est bien cette scientificité que l'on peut lui contester, en effet, quand on s'avise de ses présupposés idéalistes. Contribuant à renforcer les oppositions indues entre le sensible et l'intelligible ou le visible et l'invisible, le recours au concept, à l'idée, comme principe et fin dernière de l'image, la recherche d'une forme transcendantale comme signification de la forme figurée en viennent à occulter la spécificité de l'image elle-même, sa matérialité, sa présence, son pouvoir, ses effets de sens et de surprise, indépendants du thème énoncé ou du sujet traité.
Définie par son précurseur, Cesare Ripa (Iconologia, 1593), comme nécessaire à tout artiste soucieux de représenter, par symboles ou allégories, les vices, les vertus ou les passions des hommes, l'iconologie n'a peut-être pas cessé d'être taxinomique, réglant le sens des images sur des normes préalablement établies, fût-ce dans une œuvre aussi magistrale que celle de Panofsky. Sans doute l'histoire de l'art a-t-elle souffert depuis Vasari de cette emprise de l'idée sur l'image. Pour ouvrir l'image à un autre regard, il importe de reconnaître la précarité et l'inefficacité des clivages et des catégories imposés par la tradition : « Il serait présomptueux d'affirmer le caractère strictement rationnel des images, comme il serait incomplet d'en affirmer le simple caractère empirique », rappelle Georges Didi-Huberman.
Une des conséquences de la priorité du concept est le privilège accordé au sujet, au détriment du détail, pourtant partie constitutive de l'image, indice nécessaire à sa compréhension et, plus encore, élément révélateur du statut spécifique de l'image et de son mode d'apparition : un détail « saute aux yeux ». Cette émergence soudaine fait sens, non pour nous indiquer un au-delà de l'image qui serait son énigme, dans une conception encore paulinienne du visible, mais pour faire apparaître les multiples plans dont se compose une image, telle une mémoire gardant virtuellement, comme en réserve, en puissance, les étapes successives de son élaboration, toujours en cours, prête à se dérouler sous nos yeux pourvu que notre regard réponde à cette sollicitation. C'est ainsi qu'un tableau, à partir d'un détail s'inscrivant dans le mouvement d'un récit, surgit à nos yeux dans toute sa profondeur, celle qui, par exemple, se développe en arrière-plan dans La Chute d'Icare de Bruegel, chute à peine signalée par quelques plumes.
Un trait, une trace, une tache : ces éléments font[...]
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Écrit par
- Agnès MINAZZOLI : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de philosophie, chercheur au C.N.R.S (philosophie)
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