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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

Le champ sémantique des divers vocables dérivés en français du terme d'image risquerait d'être singulièrement appauvri si l'interprétation en était faite sur le seul fondement étymologique du latin imago. Dans son acception originaire, ce terme vise en effet le trait de ressemblance dont se trouve marquée une représentation, et les emplois dans lesquels on le rencontre, du produit à l'image des ancêtres et même au spectre, des visions du rêve aux fables, intéressent au même titre l'affinité de la reproduction avec l'original. Aussi bien imago a-t-il même racine qu'imitor. S'agit-il au contraire de donner un équivalent à notre « imaginaire », c'est-à-dire à ce genre de représentation dont c'est l'essence de nous soustraire au déjà-vu, et d'ériger un monde dont on entend souligner qu'il est sans modèle, c'est à d'autres racines qu'il sera fait appel, dont les connexions sémantiques s'étendent de la sphère de la fiction – res fictae – à celle des prodiges – portenta. Ainsi s'explique la confusion du domaine relevant de l'« imagination ». Les manuels de psychologie du début du siècle la masquaient et la trahissaient, dans l'opposition d'une imagination « reproductrice » et d'une imagination « créatrice » : simple témoignage de l'obligation où s'est trouvée la psychologie d'intégrer à la tradition léguée par l'imago latine une diversité d'acceptions qui en mesurent l'insuffisance initiale.

Dans la mesure où les y engageaient des préoccupations techniques, les écrivains latins ont bien marqué d'ailleurs par leurs emprunts terminologiques l'obligation où ils étaient de renouveler leur lexique de l'imaginaire, et c'est vers le grec qu'ils se sont tout naturellement tournés par une série d'emprunts dont l'usage français a lui-même bénéficié. De l'équivalent grec de l'imago latine, c'est-à-dire de l'« icône » (εικ́ων), on dissociera le fantasme (ϕ́αντασμα), c'est-à-dire l'objet de la ϕαντασ́ια (fantaisie) auquel le ϕανταστικ́ον (phantastikon) correspond en des acceptions qui sont l'anticipation du « fantastique » français. Aussi bien un peuple philosophe était-il voué à introduire dans le registre de l'imagination une interrogation portant sur la réalité de son objet : le « phantastikon », ainsi qu'en témoigne Le Sophiste de Platon, c'est l'aspect sous lequel l'objet de fantaisie (ϕαντασ́ια), c'est-à-dire le fantasme ou ϕ́αντασμα, participe du non-être. Sans doute faut-il observer que l'image-copie pourrait trouver ici encore une extension de sens. La représentation « fantastique » ne se connaît pas d'original, elle est sans modèle dans le réel, mais elle soutient ce paradoxe de prêter à un contenu irréalisable, ou pour le moins tenu pour irréel, l'apparence d'une réalité. Mais de ce déplacement surgit précisément le problème de l'imaginaire : comment l'image, en tant qu'image, peut-elle parodier le réel ? Comment l'image destinée à reproduire les traits caractéristiques d'un objet se trouve-t-elle revendiquer dans l'imaginaire les traits d'une quasi-réalité ? La relation de l'image à l'imaginaire n'est pas un aspect particulier du problème, c'est le problème même de l'imaginaire.

Sources romantiques et élaboration psychanalytique

Vers l' inconscient et vers le monde : telles sont les deux directions où cette relation a été appelée à se déterminer de nos jours, et dont il conviendrait aussi de marquer, du point de vue le plus général de l'histoire des idées, la solidarité.

Tout d'abord il est remarquable que l'analyse[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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