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IMAGINAIRE ET IMAGINATION

Expression musicale du destin

Que le détail de ces analyses soit aujourd'hui périmé n'infirme en rien la fécondité de l'inspiration dont elles procèdent : simplement la science des mythes a-t-elle tiré parti pour son compte propre des progrès accomplis depuis Müller par la linguistique. D'une part, élargissant à l'échelle d'une sémantique générale la conception saussurienne selon laquelle il n'est de signifiant que différentiel, elle analyse le contenu manifeste des mythes en un système d'oppositions. D'autre part, se fondant sur la représentation des processus de culture en tant que réseau d'échanges, elle se met en mesure de rapporter au système de leurs polarités élémentaires les oppositions dans lesquelles les mythes s'analysent. Ainsi le mythe sera-t-il compris comme le champ où le groupe exprime sa structure – le problème étant de préciser le niveau et la forme spécifique où cette expression cristallise : « Si les mythes ont un sens, écrivait Claude Lévi-Strauss en 1955 dans un article sur la « Structure des mythes », celui-ci ne peut tenir aux éléments isolés qui entrent dans leur composition, mais à la manière dont ces éléments se trouvent combinés ». Plus précisément, « le mythe relève de l'ordre du langage, il en fait partie intégrante ; néanmoins, le langage, tel qu'il est utilisé dans le mythe, manifeste des propriétés spécifiques ». « Enfin, ces propriétés ne peuvent être cherchées qu'au-dessus du niveau habituel de l'expression linguistique ; autrement dit, elles sont de nature plus complexe que celles qu'on rencontre dans une expression linguistique de type quelconque. »

Autrement dit, les unités dont le mythe est constitué relèveront de deux types d'organisation. Les unes appartiennent au domaine général de la linguistique : phonèmes, morphèmes et sémantèmes ; les autres, désignées comme mythèmes, appelleront une détermination spécifique. De 1955, où, pour la première fois, référence est faite à l'harmonie, jusqu'à la série des Mythologiques qui, dix années plus tard en développeront la suggestion, cette détermination se précisera dans sa visée comme exigence d'une organisation solidairement synchronique et diachronique, dans sa forme comme un type d'expression relevant de l'analogie musicale.

On soulignera « ce caractère commun du mythe et de l'œuvre musicale, d'être des langages qui transcendent, chacun à sa manière, le plan du langage articulé, tout en requérant comme lui, et à l'opposé de la peinture, une dimension temporelle pour se manifester ». Aussi bien la méthode d'analyse des mythes appliquée par Lévi-Strauss consistera-t-elle à « traiter les séquences de chaque mythe, et les mythes eux-mêmes dans leurs relations réciproques, comme les parties instrumentales d'une œuvre musicale, et d'assimiler leur étude à celle d'une symphonie ». Précisons cependant cette relation au temps qui leur est commune ; elle « est d'une nature assez particulière : tout se passe comme si la musique et la mythologie n'avaient besoin du temps que pour lui infliger un démenti. L'une et l'autre sont en effet des machines à supprimer le temps. Au-dessous des sons et des rythmes, la musique opère sur un terrain brut, qui est le temps physiologique de l'auditeur ; temps irrémédiablement diachronique puisque irréversible, et dont elle transmute pourtant le segment qui fut consacré à l'écouter en une totalité synchronique et close sur elle-même ». Si bien « qu'en écoutant la musique et pendant que nous l'écoutons nous accédons à une sorte d'immortalité ». Or, « le mythe, lui aussi, surmonte l'antinomie d'un temps historique et révolu, et d'une structure permanente ». Précisons encore : ce qu'est à la musique « la série illimitée des sons physiquement réalisables,[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Média

Gaston Bachelard - crédits : Éditions Corti, 1984

Gaston Bachelard

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