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IMAGINAIRES DE L'APOCALYPSE. POUVOIR ET SPIRITUALITÉ DANS L'ART GOTHIQUE EUROPÉEN (L. Rivière Ciavaldini) Fiche de lecture

L'Apocalypse, terme grec pour « révélation », appartient au genre littéraire de la vision : des événements cachés sont révélés à un homme, sous forme allégorique ou symbolique, par Dieu, qui seul les connaît. Très présent dans la littérature hébraïque, le thème entre dans l'Église latine par l'intégration du livre éponyme au canon biblique. Composée en vingt-deux chapitres dans la seconde moitié du ier siècle de notre ère en pleine persécution antichrétienne, attribuée à l'évangéliste Jean établi sur l'île grecque de Patmos, cette Apocalypse fait acte de résistance et annonce le triomphe du Christ sur le paganisme. La fin du Moyen Âge lui préférera cependant une interprétation eschatologique et mystique. Très populaire parmi les princes d'Europe, ce dernier livre de la Bible est réexaminé dans Imaginaires de l'Apocalypse. Pouvoir et spiritualité dans l'art gothique européen de Laurence Rivière Ciavaldini (2007), à l'aune d'un manuscrit extraordinaire du xve siècle : l'Apocalypse des ducs de Savoie. Conservé à la bibliothèque du monastère San Lorenzo de l'Escorial, l'ouvrage, complet et extrêmement documenté, se présente sous la forme d'un livre saint commenté par Bérangaud.

Dans le premier chapitre de cet ouvrage, fruit d'une thèse de doctorat, une étude codicologique indispensable ravit les spécialistes tandis que l'histoire du manuscrit prend l'allure attrayante d'une enquête policière. L'identification des différents artistes ayant œuvré à l'exécution des miniatures du manuscrit représente une avancée majeure dans la recherche sur l'ouvrage. En effet, la réalisation s'est faite en deux temps. Dans les années 1428-1435, le duc de Savoie Amédée viii en confie la conception et la préparation à Jean Bapteur de Fribourg qui, secondé par Péronet Lamy, exécute alors une cinquantaine de miniatures. Par la suite, vers 1486-1490, Jean Colombe, artiste renommé de la région de Bourges, achève le manuscrit une quarantaine d'enluminures pour le compte du duc de Savoie Charles ier.

Ces artistes s'inspirent alors de deux traditions artistiques d'illustration de l'Apocalypse très différentes; l'un des intérêts majeurs de l'ouvrage est de démontrer la vivacité artistique de la cour de Savoie, espace de création et d'innovation à la jonction entre les traditions du nord et du sud de l'Europe. Reprenant une à une les étapes du développement de l'école palatine de Westminster, l'auteur souligne comment Jean Bapteur s'inspire de la tradition anglaise pour s'en éloigner et faire du manuscrit d'Amédée viii le dernier exemple d'une prestigieuse série. Poursuivant l'ouvrage, Jean Colombe se tourne plutôt vers le foyer napolitain de la cour d'Anjou, la fresque de Santa Maria di Donnaregina à Naples ou les panneaux peints pour le roi René dans les années 1320-1330. Ce chapitre est particulièrement intéressant pour les méthodes d'investigation utilisées en histoire de l'art.

Une dernière partie est consacrée à ce que représente un manuscrit dans la sphère princière. Objet d'apparat et de prestige, il exhibe publiquement la foi et l'amour de Dieu de son possesseur. De façon plus approfondie, il permet d' « accéder à l'imaginaire et à l'univers mental des deux commanditaires », comme à celui des enlumineurs. En effet, résolument novateurs et instaurant une nouvelle imagerie de l'Apocalypse, les miniaturistes plantent le décor des scènes dans les paysages de la Savoie contemporaine, réveillant ainsi le traditionnel débat théologique sur l'historicité de l'Apocalypse: récit allégorique ou représentation d'un événement à venir ? Ce temps convoqué reflète le fécond dialogue entre le[...]

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Écrit par

  • : diplômée de l'École du Louvre, doctorante en histoire médiévale à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris

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